Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
L’Angleterre, qui n’est concernée que par l’équilibre des puissances, mais n’a droit à aucune part de l’héritage espagnol, l’accepte.
Il se sent apaisé.
« L’avantage est moindre en apparence, écrit-il à Henri d’Harcourt, mais cet accord abaisse encore la puissance de la maison d’Autriche. »
Et puis c’est la réponse de l’ambassadeur de France. Charles II refuse de voir démembrer à sa mort l’empire d’Espagne et fait de son petit-neveu, le prince Joseph Ferdinand de Bavière, âgé de sept ans, son unique héritier.
Louis prie.
Quelle est la volonté de Dieu ? Donnera-t-il un signe ?
Il apprend quelques semaines plus tard que l’enfant désigné comme héritier de Charles II est mort, frappé par la petite vérole. Il faut revenir au partage. Un accord est esquissé, même si l’empereur proteste. Mais que pourrait Léopold contre l’entente de la France, des Provinces-Unies et de l’Angleterre ?
Dieu a-t-il choisi ?
Qui peut le savoir ?
Louis se tourne vers Mme de Maintenon. Elle est favorable au partage de la succession. Elle craint la guerre, et ses directeurs de conscience, ainsi Jodet, l’évêque de Chartres, pèsent en ce sens.
Mais doit-il faire confiance à ces gens d’Église qui se déchirent entre eux, se drapent dans leur robe rouge et se soucient plus de leurs rivalités et de leurs ambitions que de l’intérêt du royaume ?
Le pape tarde ainsi à condamner Fénelon, qui s’obstine en publiant un livre, Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse , où chacun peut lire une critique d’un roi vaniteux, soucieux seulement de sa gloire et indifférent au sort de son royaume. Et dans ce roi de Crète Idoménée, chacun reconnaît le roi de France.
Il faut saisir ce livre, qui déjà se répand dans toute l’Europe, après qu’on l’a réimprimé à La Haye.
Il en veut à Mme de Maintenon d’avoir si longtemps succombé aux séductions de Mme Guyon – qu’on l’emprisonne à la Bastille ! – et de Fénelon.
Il lui est toujours aussi profondément attaché, mais il se lasse de ses soupirs, de ses gémissements, et même de ses prières car il imagine les confidences qu’elle doit faire à ses confesseurs.
Ne lui reproche-t-elle pas de trop songer encore à se divertir, à faire répéter des danses dans son cabinet pour la plus grande joie de Marie-Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, et de manquer les vêpres ?
Elle le juge, et un roi ne peut être jugé, même pas par une dévote !
Il reçoit une lettre de l’évêque de Chartres, ce Jodet qui veille sur la maison de Saint-Cyr et a, le premier, critiqué les idées de Mme Guyon et de Fénelon, et leur influence néfaste sur les jeunes pensionnaires de Saint-Cyr.
Jodet, écrit, soucieux de défendre Mme de Maintenon :
« Je serai bien sa caution, Sire, qu’on ne peut vous aimer plus tendrement ni plus respectueusement qu’elle vous aime. Elle ne vous trompera jamais si elle n’est elle-même trompée.
« Il paraît bien visiblement, Sire, que Dieu vous a voulu donner une aide semblable à vous, au milieu de cette troupe d’hommes intéressés et trompeurs qui vous font la cour, en vous accordant une femme qui ressemble à la femme forte de l’Écriture, occupée de la gloire et du salut de son époux et de toutes sortes de bonne œuvres. »
Peut-être.
Mais personne, hormis Dieu, ne peut faire la leçon à Louis le Grand.
20.
Il referme le livre du bout des doigts, avec la pointe des ongles, comme s’il craignait de se brûler à son contact.
Il le rouvre, retrouve aussitôt ces phrases qui, naturellement, le visent, et non le roi de Crète que Fénelon met en scène, et dont la critique doit servir de leçon à Télémaque !
Et Fénelon a été précepteur du duc de Bourgogne qui sera un jour, si Dieu le veut, roi de France !
Louis a le sentiment qu’il a été trompé par Mme de Maintenon, par l’Église, qui a tant tardé à condamner Mme Guyon et l’archevêque de Cambrai, le pape Innocent XII venant seulement de dénoncer les propositions avancées par Mme Guyon, et contraindre ainsi Fénelon à se rétracter.
Il eût fallu mettre ce livre à l’index.
« Ces grands conquérants, a écrit Fénelon, qu’on nous dépeint avec tant de gloire, ressemblent à des fleuves débordés qui paraissent majestueux, mais qui ravagent toutes les fertiles campagnes qu’ils devraient seulement arroser ! »
Qui
Weitere Kostenlose Bücher