Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
annonce qu’il décerne à son arrière-petit-fils le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit.
Cette naissance vaut toutes les victoires et efface toutes les défaites.
Il veut se souvenir le 21 août 1704 de cette pensée parce que Mme de Maintenon, d’une voix douce, vient de lui annoncer que, en Bavière, à Blenheim – et le village voisin est celui de Höchstädt, où Villars a, l’année précédente, remporté une victoire éclatante –, l’armée commandée par le maréchal de Tallard a été écrasée par les Impériaux.
Il s’éloigne de Mme de Maintenon.
Il n’a pas besoin de compassion. Il ne veut pas qu’on le ménage. Il veut connaître les faits, les raisons de cette déroute.
Le maréchal est prisonnier. Des soixante mille soldats français, plus de dix mille sont morts, vingt-six bataillons se sont rendus. Des centaines de gentilshommes, d’officiers sont prisonniers. Et des milliers d’autres soldats se sont enfuis, ont déserté.
Tous les canons ont été pris par les troupes du duc de Marlborough et celles du prince Eugène de Savoie, qui se sont ainsi emparés de cent soixante-douze étendards. Louis a le sentiment que cette bataille perdue est le commencement de grands maux qui vont frapper le royaume.
Alors qu’il parcourt, s’efforçant de demeurer impassible, la galerie du château de Versailles, ou bien qu’il reçoit les courtisans dans sa chambre, ou lors des réunions des Conseils dans le grand cabinet, il ne voit que des visages désolés, exprimant l’inquiétude.
Il sait que cet homme qui retient ses larmes a perdu son fils unique. Que cette dame éplorée ne sait pas ce qu’est devenu son fils, s’il est prisonnier ou blessé, mort au combat ou noyé en tentant de traverser le Danube.
Il ne doit rien ignorer de ces grands chagrins, de ces inquiétudes, et en même temps il doit soutenir ces malheurs-là avec fermeté, en montrant qu’il ne cède rien.
Mais il veut comprendre ce qui s’est passé, pourquoi Tallard et l’électeur de Bavière qui combattait à ses côtés se sont laissé surprendre.
Il ordonne qu’on ouvre les lettres que les prisonniers adressent à leurs familles.
Il apprend ainsi que le prince Eugène a invité les gentilshommes prisonniers à assister à un opéra, qui s’est ouvert par cinq chants à la gloire de Louis XIV.
Mais en même temps, le prince Eugène a confié aux officiers que leurs généraux et leurs maréchaux étaient incapables, qu’ils avaient accumulé des prodiges d’erreurs, qu’un enfant aurait pu les battre.
Il doit lire cela, et aussi cette lettre que Mme de Maintenon adresse à l’archevêque de Paris et dans laquelle elle écrit :
« Dieu soit loué de tout et veuillez apaiser Sa colère que nous n’avons que trop méritée. Hélas ! nous souffrons de grands maux et nous en méritons de plus grands encore. J’ai toujours appréhendé la punition du luxe et de l’ambition. »
Il médite longuement ces propos.
Il est vrai qu’il a souvent et longuement péché. Mais, de tous les souverains, n’est-il pas le Très-Chrétien ? Celui qui a combattu les huguenots, et contre lequel se dressent les puissances hérétiques ?
Lorsqu’il reçoit la nouvelle que la flotte franco-espagnole que commande son fils – ce bâtard qu’il a légitimé comte de Toulouse – a vaincu la flotte anglaise sur les côtes d’Espagne, à Velez Malaga, il sait que Dieu ne le condamne pas, même s’il veut lui rappeler que le plus grand des rois, le Très-Chrétien, doit aussi lui être soumis.
Il le sait.
Et c’est pourquoi il le prie. Et lui rend grâce, le 27 août, en organisant les fêtes qui célèbrent, par un feu d’artifice sur la Seine, la naissance du duc de Bretagne, son arrière-petit-fils.
Il n’oublie pas la défaite de Blenheim, ni les grands maux qu’elle annonce, et qu’il pressent.
Mais il croit en Dieu. Et en la vigueur éternelle du sang royal.
CINQUIÈME PARTIE
1705-1710
29.
Il s’approche du lit de l’enfant et se penche.
Il découvre le visage enflé et si empourpré du duc de Bretagne qu’il a un mouvement de recul.
Il lui semble qu’il voit une tache de sang sur les dentelles blanches.
Il est sûr que la mort est là, que c’est elle qui étouffe l’enfant, dont il entend à peine le souffle irrégulier et rauque. Et l’enfant tout à coup se raidit, son corps convulsionné.
Pourquoi Dieu reprend-il déjà la vie de ce premier
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