Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
arrière-petit-fils dont la naissance il y a seulement quelques mois avait été si douloureuse, et qui avait donné tant de joie et tant d’orgueil ?
Est-ce pour rappeler sa puissance que Dieu agit ainsi, qu’il reprend après avoir accordé ?
Louis regarde le père et la mère de l’enfant. Son fils a les yeux fixes, comme pour ne rien voir. Mais Marie-Adélaïde, la duchesse de Bourgogne, sanglote.
C’est elle qui, durant des heures, a geint et souffert pour donner la vie. Et celle-ci s’en va.
Louis tourne la tête, aperçoit son confesseur le père de La Chaise qui prie, les mains jointes, les yeux clos.
Il va vers lui, et prie à ses côtés, puis tout à coup s’interrompt.
— Mon père, commence-t-il, nous faisons bien des vœux pour la santé de cet enfant. Mais nous ne savons pas ce que nous faisons.
Il perçoit l’inquiétude et la surprise du père de La Chaise.
Il répète :
— Oui, mon père, nous ne savons pas ce que nous faisons. Si cet enfant meurt, c’est un ange dans le ciel ; s’il vit, les grands princes sont si exposés à tant de tentations et tant de dangers pour leur salut qu’on a sujet d’en tout craindre.
Il reste un moment silencieux, observant le père de La Chaise qui se contente de répéter qu’il faut prier et se résigner, se soumettre à la volonté de Dieu, qu’on ne peut trop louer, qui connaît seul les raisons de sa décision.
— Que la volonté de Notre-Seigneur soit faite, murmure Louis.
Il a perdu son arrière-petit-fils.
Il ne se rebelle pas contre ce choix de Dieu. Il l’accepte. Chaque naissance porte en elle la mort, et Dieu décide de l’instant. Il faut que chacun à la Cour accepte le deuil du duc de Bretagne avec la fermeté que tout chrétien doit manifester quand la mort frappe.
Il sait ce qu’on murmure pourtant.
La princesse Palatine répète :
— Les docteurs ont tué le pauvre petit prince avec leur émétique et leurs saignées.
Le marquis de Sourches, grand prévôt de France, conseiller d’État, ajoute :
— Il ne s’agissait pas de lui donner tant de remèdes qui le firent mourir mais de lui donner des forces pour lui aider à pousser ses dents.
Tous ces commentaires, ces accusations lui paraissent vains.
Il se souvient du dernier chant de l’opéra Atys , de Lully et de Quinault, quand cette reine meurt, en pleine beauté, en pleine jeunesse :
Atys, au printemps de son âge
Périt comme une fleur
Qu’un soudain orage
Renverse et ravage.
Il est chrétien, il doit accepter ce « ravage ».
Il est le roi, et il doit avoir à l’égard de ses sujets la même souveraine liberté que celle dont Dieu dispose envers chaque homme.
Il peut lui aussi d’un geste donner. Et d’un autre prendre. C’est lui qui juge et dispose.
Il reçoit M. de Gassion, lieutenant des gardes du corps. Il lui accorde une pension.
— Je ne vous dois rien, dit-il à l’officier qui se confond en remerciements, mais je suis bien aise de vous distinguer par la grâce que je vous fais, étant très satisfait des services que vous m’avez rendus et persuadé que vous m’en rendrez encore de bons à l’avenir.
Il prie pour que Dieu l’éclaire dans les choix qu’à chaque instant il doit faire. Et parfois, il a l’impression qu’il erre dans un labyrinthe.
Il reçoit les lettres du duc de Gramont qu’il a nommé ambassadeur à Madrid auprès de Philippe V.
Rien n’est jamais réglé. Il avait cru trouver une issue, et maintenant il est à nouveau dans la même impasse. La princesse des Ursins, dont la jeune reine, Marie-Louise Gabrielle de Savoie, s’est entichée, se permet d’ouvrir la correspondance de l’ambassadeur, et de l’annoter !
Il exige qu’elle rentre aussitôt à Paris, il la reçoit, l’observe.
Et pendant ce temps-là, à Madrid, la reine tempête, complote, implore. Elle veut la princesse des Ursins auprès d’elle, c’est plus qu’une camarera mayor ou qu’une confidente, c’est mieux qu’une mère.
Elle rend à Philippe V la vie impossible.
Alors il faut reculer, écrire à l’ambassadeur Gramont :
« Mon cousin, depuis que j’ai parlé avec la princesse des Ursins j’ai jugé nécessaire de la renvoyer en Espagne. »
Est-ce le bon choix ?
La guerre ne laisse pas le temps de s’interroger.
Cependant qu’on se déchire à Madrid, autour de Philippe V, en intrigues de cour, les Anglais, auxquels on n’a pas réussi à reprendre Gibraltar, débarquent
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