Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
moque du duc de Bourgogne, on fustige sa lâcheté.
À la Cour même, le propre père du duc de Bourgogne, Monseigneur le dauphin, condamne son fils, et rassemble autour de lui quelques princes, dont le duc du Maine. En face se dressent les ducs de Beauvillier et de Chevreuse, les gendres de Colbert et la duchesse d’Orléans.
Il a le sentiment que, à travers le duc de Bourgogne, son petit-fils estimé, c’est lui qu’on veut atteindre.
Parce qu’on imagine qu’il va bientôt mourir et on se rapproche de ceux dont on pense qu’ils vont s’installer au pouvoir.
Il doit faire face, tenir fermement le sceptre royal jusqu’à ce qu’il ne puisse plus serrer les doigts.
Il ne doit rien abandonner de sa puissance.
À l’instant de la mort seulement, il sera désarmé.
Il faut donc rester impassible devant la défaite d’Audenarde, puis la déroute.
Et il ne peut laisser accuser son petit-fils. Il sait ce que l’on dit du duc de Bourgogne. Et il lit ce que celui-ci écrit à Mme de Maintenon, à propos du duc de Vendôme :
« Vous n’aviez que trop raison, madame, quand je vous ai vue trembler de voir nos affaires entre les mains du duc de Vendôme… le roi s’y trompe fort s’il a une grande opinion de lui. Je ne le dis pas seul, toute l’armée en parle. Il n’a jamais eu la confiance de l’officier, et il vient de la perdre du soldat…»
Il ne peut non plus accepter ce jugement, ni la campagne de rumeurs que les adversaires du duc de Bourgogne entretiennent contre lui.
Il le reçoit.
Il veut lui manifester son estime et son affection, et rassurer aussi Marie-Adélaïde de Savoie qu’il voit inquiète et tourmentée. Il embrasse le duc de Bourgogne, le garde longuement contre lui, puis se tourne vers la duchesse et dit :
— Il n’est pas juste de retarder plus longtemps votre plaisir d’être ensemble.
Il les regarde s’éloigner.
Il ne peut être sévère avec eux, ils continuent son sang. C’est d’eux qu’est né son arrière-petit-fils et que d’autres naîtront sans doute.
Quant à Vendôme, qu’il quitte la Cour, et s’exile en son château d’Anet. Lui aussi est de sang royal, puisqu’il est le petit-fils d’un des bâtards d’Henri IV. Mais un roi doit toujours choisir en pensant aux intérêts de sa lignée qui sont ceux du royaume.
Et jamais ils ne lui ont semblé aussi menacés qu’en cette fin de l’année 1708, alors qu’il a depuis le mois de septembre plus de soixante et dix ans.
Et quel que soit le sujet qu’il examine, il ne voit que périls.
Les finances du royaume sont au plus bas. Si exsangues que lorsqu’il propose à Desmarets un cadeau de deux cent mille livres pour sa fille celui-ci refuse, et il doit insister pour que le contrôleur général des Finances accepte une pension de dix mille livres.
Louis sait qu’à des finances pauvres correspond une armée faible.
Les troupes d’Eugène et de Marlborough viennent de conquérir Lille, où le maréchal de Boufflers a résisté dans la citadelle jusqu’à la limite de ses forces.
Il le reçoit. Un roi doit savoir honorer ses serviteurs courageux. Boufflers refuse de quémander.
— Eh bien ! Monsieur le maréchal, puisque vous ne voulez rien me demander, je vais vous dire ce que j’ai pensé afin que j’y ajoute encore quelque chose si ne j’ai pas assez pensé à tout ce qui peut vous satisfaire : je vous fais pair, je vous donne la survivance du gouvernement des Flandres pour votre fils, et je vous donne les entrées des premiers gentilshommes de la chambre.
Il interrompt le maréchal de Boufflers qui le remercie et l’assure de sa fidélité.
Il l’a éprouvée. Boufflers est de ceux, comme Mme de Maintenon ou son premier valet de chambre Blouin, en qui il a une totale confiance.
Il lui dit que Gand s’est rendu au prince Eugène. Il hésite, puis il replie la lettre qu’on lui a communiquée ce matin, et à propos de laquelle il a été tenté de demander l’avis du maréchal de Boufflers.
Mais il ne la lira pas.
C’est une copie d’une missive adressée par Fénelon au duc de Chevreuse.
L’archevêque de Cambrai écrit :
« Si le roi venait en personne sur la frontière, il serait cent fois plus embarrassé que le duc de Bourgogne. Il verrait qu’on manque de tout, et dans les places en cas de siège et dans les troupes, faute d’argent. Il verrait le découragement de l’armée, le dégoût des officiers, le relâchement de la discipline, le mépris
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