Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
conseil dans le grand cabinet. Il ne veut plus qu’y figure Chamillart qui, après avoir abandonné le contrôle général des Finances, est encore secrétaire d’État à la Guerre. Il faut un autre homme pour les temps qui s’annoncent, qui seront ceux des négociations, de la paix et donc des ultimes batailles.
Il donne l’ordre à Jean-Baptiste Colbert de Torcy, ministre des Affaires étrangères, de se rendre incognito à La Haye afin d’y rencontrer Heinsius, Eugène de Savoie et le duc de Marlborough, d’offrir à ce dernier dont toute l’Europe connaît l’âpreté au gain quatre millions de livres.
Il faut attendre. Prier, se confesser.
Et chaque fois se souvenir du père de La Chaise, mort au début de l’année, tué par l’âge et le froid, murmurer à Le Tellier, le provincial des jésuites qui l’a remplacé :
— Le père de La Chaise était si bon que je le lui reprochais quelquefois. Il me répondait : « Ce n’est pas moi qui suis bon, mais vous qui êtes dur. »
Il doit être dur. C’est la première qualité d’un grand roi. Et il a confiance en Le Tellier. Ce jésuite est volontaire, dur lui aussi, fier de ses origines modestes, précisant qu’il n’appartient pas à la famille des Colbert, qui sont aussi des Le Tellier.
— Je suis bien loin de cela, a-t-il dit, je suis un pauvre paysan de Basse-Normandie où mon père était fermier.
Louis est satisfait. Ce jésuite-là, même s’il fait désormais partie de la Cour, même s’il est invité à Marly, ne peut être un courtisan.
Il prie avec lui, pour que Torcy réussisse à obtenir la paix.
Elle est nécessaire.
Louis sait que le royaume est au bord de l’abîme.
Il lit le mémoire que lui remet Nicolas Desmarets – et qu’approuve le nouveau secrétaire d’État à la Guerre Voysin, un homme prudent, dévoué, efficace, soumis à Mme de Maintenon.
Desmarets dresse la liste de tous les maux qui assaillent le royaume. Il souligne « la mauvaise disposition d’esprit de tous les peuples » qui sont prêts, tenaillés par la faim, la misère, le désespoir, à la révolte.
Et Desmarets conclut :
« À tous ces maux il n’est possible de trouver des remèdes que par une prompte paix. »
Louis partage plus que jamais cette opinion et, lorsqu’il écoute le sermon de carême du père Massillon, ses dernières hésitations disparaissent.
— La main du Seigneur, dit Massillon en ce quatrième dimanche du carême, est étendue sur nos peuples dans les villes et dans les campagnes : vous le savez et vous vous en plaignez. Le ciel est d’airain pour ce royaume affligé, la misère, la pauvreté, la désolation, la mort marchent partout devant nous.
Louis attend donc Torcy.
Il est impatient, le corps tourmenté par les douleurs du ventre et de la goutte.
Lorsqu’il traverse la galerie et les salons en s’efforçant de masquer ses souffrances, il lit sur les visages des courtisans le désarroi et l’anxiété.
La paix est nécessaire, même s’il faut pour l’obtenir beaucoup céder.
Mais lorsqu’il voit Torcy rentré dans la nuit de La Haye, il devine à l’expression du ministre que Heinsius, et surtout Eugène et Marlborough, les Impériaux et les Anglais, ont présenté des exigences insolentes, exorbitantes.
Il veut rester impassible cependant que Torcy rapporte les propositions qui lui ont été communiquées.
Marlborough, précise-t-il d’abord, a refusé, narquois, les quatre millions que Sa Majesté lui offrait.
— Le roi de France, continue Torcy, devrait abandonner entièrement le roi d’Espagne. Il lui ôterait jusqu’au titre de roi. Il livrerait aux Hollandais Bayonne et Perpignan pour rester entre leurs mains jusqu’à ce que Philippe V ait entièrement évacué l’Espagne.
Torcy s’interrompt, mais Louis ne bouge et ne commente pas.
Torcy reprend :
— Le roi rétablirait en France la religion prétendue réformée et donnerait aux huguenots pour places de sûreté Bordeaux et La Rochelle, dans lesquelles il y aurait garnisons hollandaise et anglaise.
« Le roi ferait boucher le port du Havre et raser Dunkerque. Il ôterait tout commerce à la France pour l’abandonner tout entier à la Hollande.
« Le roi donnerait en propre aux états généraux des Provinces-Unies la Gueldre et tous les Pays-Bas espagnols et même Thionville et toutes les places de l’Escaut.
« Le roi céderait toute l’Alsace et toute la Franche-Comté au duc de Lorraine
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