L'ultime prophétie

comprit-elle.
Ses sœurs et elle devraient veiller à ne pas agir par colère. Il leur faudrait
s'engager dans cette lutte avec le cœur pur car sinon, leur magie leur
échapperait comme jadis, ici même, elle avait dépassé ses aïeules. Qui pourrait
alors empêcher que le monde subisse la même dévastation ?
    Elle s'agenouilla, posa la main sur le verre noir et absorba
tous les vestiges de pouvoir et de rage qui y demeuraient attachés. Elle ferma
ensuite les yeux et transmit ce savoir et cet avertissement clair à toutes ses
sœurs, y compris Yazzi et Lozzi.
    Quand elle entendit leurs réponses, elle les laissa
replonger dans le sommeil.
    Elle resta là, enveloppée dans son manteau et sa capuche de
laine, et médita sur tout ce qu'elle avait appris au cours de sa brève période
de captivité entre les mains de Hesta. Sur les souvenirs du passé qu'abritait
toujours la plaine. Sur ce qu'elle avait récemment découvert de sa vie
précédente. Sur le sens de sa vie dans ce monde où on l'avait envoyée.
    Le monde avait été déchiré par la jalousie d'un frère et la
colère d'onze femmes comme elle. Le verre noir à ses pieds était une profonde
cicatrice qui séparait deux réalités.
    Et son rôle était de réparer cette cicatrice.
     
    31.
     
    Tous accueillirent le lever du jour avec soulagement. La
caresse des premiers rayons de soleil fut vécue comme un véritable miracle
après le froid vif de la nuit. Bien qu'ils n'eussent pas perdu un seul homme à
cause du froid, leurs muscles étaient raidis et épuisés par leur combat contre
lui.
    Les feux furent ravivés, les rations réchauffées et le thé
infusé. Pour le vif contentement des troupes, leurs supérieurs leur accordèrent
du temps pour déjeuner avant de se mettre en rang pour reprendre la marche. Les
généraux se réunirent avec l'empereur et celui que tous connaissaient à présent
sous le nom du légendaire Annuvil. Trois des Ilduins qui voyageaient avec ce dernier
les rejoignirent. Yazzi et Lozzi restèrent à l'abri de la tente de l'empereur.
    —   Nous devons avoir au moins une idée de ce qui nous
attend dans la plaine, dit Alezzi. Nous devons tous en savoir plus afin de
mieux planifier notre marche et guider les légions. Il nous faut envoyer des
patrouilles.
    —   Et des patrouilles renforcées, ajouta Tuzza.
    Annuvil hocha la tête.
    —   En effet, mieux vaut ne pas risquer que de petits
groupes d'hommes soient faits prisonniers. Quant au terrain, je puis vous
donner une idée. Le verre est une surface traître. Les vents soufflèrent
rageuse¬ment tandis qu'il refroidissait jadis. C'est pourquoi sa surface
ressemble tant aujourd'hui à une mer noire et gelée. Certaines de ces
vaguelettes sont toujours aussi aiguisées qu'une lame fine, malgré des siècles
d'érosion. Toute chute peut provoquer une grave blessure. La surface elle-même
n'est pas aussi glissante qu'on pourrait s'y attendre. Ce n'est pas comme
cheminer sur de la glace car il n'y a pas d'eau. Les pieds peuvent y trouver
prise si l'on marche avec prudence.
    Tous acquiescèrent.
    —   Si tout va bien, il nous faudra une journée et demie
pour la traverser à pied. Je ne conseille à personne de chevaucher sur cette
surface.
    —   Pouvons-nous emmener nos chariots de provisions ? demanda
Tuzza.
    —   Il le faut, dit Alezzi. Nous ignorons ce qui nous
attend. Si la marche est très longue avant l'affrontement contre l'Ennemi, nous
aurons besoin de toutes les victuailles dont nous disposons.
    —   Je suis d'accord, dit Archer. Mais prenons soin des
montures et surveillons leurs pas plus que les nôtres. Si cela doit nous
ralentir, tant pis. Nous aurons besoin de nos provisions car nous n'en trouverons
pas sur notre route.
    —   Les Loups des Neiges devraient former les patrouilles,
dit Tuzza. J'ai vu comment les Anari pouvaient se déplacer silencieusement et
sans se laisser voir. Et mes hommes les accompagnent depuis assez longtemps
pour avoir appris certains de leurs talents.
    Tess réfléchit un instant. D'une part, les Loups des Neiges
étaient sans doute plus qualifiés pour cette tâche d'éclaireurs. Mais d'autre
part, leurs talents tactiques spécifiques, utilisés au sein d'une légion
organisée, pouvaient mieux servir de force de réserve, prête à frapper avec une
efficacité redoutable au moment critique.
    —   Non, dit-elle. Tuzza, je sais que vous êtes un homme
d'une grande bravoure et je ne doute pas que les Loups des Neiges