L'ultime prophétie
Alors, dirige ses hommes avec sagesse, commandant
Monabi. Ils sont courageux et disciplinés. Ils te suivront sans discuter. Tu as
ma parole.
— Je n'en doute pas.
Archer s'entretint brièvement avec Ratha afin de lui donner
des instructions sur l'entraînement que les troupes devaient acquérir et Ratha
approuva cette tactique.
— Oui, Maître Archer. Crazzi sera heureux d'apprendre que
nous n'endurerons pas une deuxième nuit telle que la nuit dernière. La perte
d'un si grand nombre de ses soldats l'a beaucoup attristé.
— C'est un bon officier, dit Maluzza. Dis-lui que sa
légion est entre de bonnes mains et que nous la lui rendrons en un seul morceau
lorsqu'il sera prêt à reprendre le service.
— Y a-t-il autre chose à discuter ? s'enquit Archer.
Sinon, il nous reste beaucoup à faire d'ici la tombée de la nuit. Il faut nous
préparer. Une nuée de sauterelles s'abattra sur nous cette nuit. Il faudra les
maîtriser.
Tess leva la tête de la pile de pansements qui lui servait
d'oreiller et fut surprise de constater que le soleil était déjà haut dans le
ciel. Elle avait l'impression de porter le poids du monde sur ses épaules mais
elle se secoua, se mit à genoux puis se leva.
— Avez-vous faim, Dame Tess ? offrit Odetta en approchant.
Nous vous avons gardé un peu de ragoût au chaud.
— Pourquoi m'avoir laissé dormir aussi tard ?
— Vous n'aviez pas dormi depuis plus de deux jours,
répondit calmement Odetta. Maître Archer a ordonné que toutes nos Ilduins ne
soient pas dérangées dans leur sommeil. Vous aviez toutes dormi moins que quiconque
au cours de notre traversée de la plaine et ensuite, avec l'assaut de la
nuit...
Tess n'avait pas besoin qu'on lui rappelât les événements de
la nuit passée. Si elle avait vu ce qu'un groupe d'hommes sous l'emprise d'un
grand ordonnateur pouvait faire à Lorense, il s'agissait alors d'un petit
groupe et il n'avait pas frappé aussi massivement. La nuit dernière avait été
mille fois pire et le flot des blessés et des morts incessant. Le soleil était
levé depuis longtemps lorsque, enfin, elle n'avait plus eu personne à soigner
et avait décidé de s'assoupir quelques instants. Elle avait sombré bien plus
longtemps.
— Je vous en prie, Dame Tess, dit Odetta. Vous devez
manger maintenant.
Malgré le dégoût qu'elle éprouvait au souvenir des horreurs
de la nuit, elle savait qu'il avait raison.
— Oui-da. Mais veille à ce que les blessés soient nourris
d'abord.
— C'est fait, ma dame. Je savais que vous souhaiteriez
qu'il en soit ainsi et j'ai voulu m'éviter une discussion avec vous.
— Tu es une mère poule, Odetta, dit Tess en souriant. Et
pleine de sagesse par-dessus le marché.
Après avoir mangé, elle sentit ses forces revenir peu à peu.
Et ce fut heureux, car nombre de blessés nécessitaient d'autres soins. Le moral
des soldats était bon, constata-t-elle en changeant leurs pansements et leurs
cataplasmes, en dépit du choc de la bataille.
— Ils refusaient d'arrêter, dit un Anari, les larmes aux
yeux et le regard fixé sur ses mains. Nous en avions tué tant et ils
n'arrêtaient pas. Ils n'arrêtaient pas.
Il répéta ces mots à plusieurs reprises, remarquant à peine
Tess qui changeait le bandage de sa cuisse. La plaie n'était pas profonde et
cicatrisait bien. Il ne cessait de regarder ses mains et Tess s'inquiéta
d'avoir pu oublier une blessure à cause de l'effervescence ou de sa fatigue.
Mais lorsqu'elle chercha à examiner ses mains, l'homme recula et la regarda
avec crainte.
— Non. Trop de sang, bien trop de sang. Ils n'arrêtaient
pas.
Il la regardait mais ne la voyait pas. Un regard vieux de
cent ans. Cette expression lui venait de son service militaire dans une vie précédente.
Ce regard était celui d'un homme qui avait vu et fait plus que ce que son
esprit ne pouvait en supporter.
— Va me chercher un peu d'eau, dit Tess à Odetta. Et un
pansement propre.
— Nous n'en avons plus, ma dame.
— Apporte-moi un morceau d'étoffe, n'importe quoi de
propre. Vite, Odetta.
Quelques minutes plus tard, il revint avec de l'eau et un
morceau de tissu doré. L'étoffe était douce comme de la laine mais glissa entre
ses doigts comme de la soie. Elle interrogea Odetta du regard.
— C'est un morceau de mon sac de couchage, dit-il. Ma mère
est une tisseuse de grand talent. Elle l'a fabriqué pour moi quand je me suis
engagé
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