L'ultime prophétie
défis.
Erkiah sourit faiblement.
— J'aurais aimé te rencontrer à une époque plus heureuse,
mon fils. Cette joute verbale aurait pu durer des heures et nous y aurions pris
plaisir. Hélas, nous ne pouvons nous permettre ce luxe.
— Un jour,
dit Tom fermement. Un jour.
***
Eshkaron Treysahrans était le texte prophétique le
plus difficile mais Tom s'acharna à le déchiffrer avec une détermination
qu'Erkiah jugea aussi admirable que glaçante. Bien que le nom de son auteur eût
disparu au fil des siècles, Erkiah considérait ce texte comme l'une des plus
anciennes prophéties et celle qui avait subi le moins d'interventions de la
part des scribes, principalement parce que rares étaient ceux qui avaient
choisi de la transcrire. L'exemplaire qu'il possédait était peut-être unique.
Il doutait en tout cas qu'il en existât plus d'une demi-douzaine.
Le titre — La Mort des Dieux — n'était guère éloquent.
Contrairement aux titres de la plupart des prophéties, celui-ci semblait avoir
été choisi par l'auteur lui-même et ce dernier n'avait guère éclairé le
lecteur. En réalité, il paraissait avoir voulu l'éviter à tout prix.
Le texte était divisé en trois chapitres. Le premier
contenait une série d'énigmes sans réponses et même, aux yeux d'Erkiah, sans
fil directeur. Le deuxième était une chronologie partielle, débutant par « la
mort du dernier des Premiers » et se terminant par « la naissance du premier
des Derniers », sans que le contexte permît d'identifier ces êtres. Les
quelques érudits qui avaient annoté cette partie avaient rendu les choses plus
confuses encore : certaines interprétations parlaient des dieux eux-mêmes,
d'autres des Premiers Nés ou des Ilduins, ou même, pour les plus récentes, de
l'aristocratie bozandari.
C'était le troisième chapitre — « Aneshtreah » ou « Avertissements
» — qui avait tant effaré Erkiah des années auparavant. Tel un maître sévère
s'adressant à un jeune disciple récalcitrant, le texte contenait une série de
mises en garde, toutes plus sinistres les unes que les autres. Le message
principal parlait de confiance ou plutôt de soupçons. L'auteur commençait par
ces mots :
Ne te fie pas à ta mère.
Elle t'a enfanté dans la douleur, élevé malgré les
épreuves,
Grande est sa rancœur, bien qu'elle soit cachée.
Ne te fie pas à ton père,
Car il t’a d abord donné la vie puis t’a nourri enfin,
Et plus grande est sa colère à la fin du voyage .
Le texte se poursuivait ainsi, conseillant au lecteur de ne
se fier ni aux hommes, ni aux animaux, ni aux amis, ni aux ennemis, ni aux
épouses ou aux enfants, ni aux maîtres ou aux serviteurs, ni aux dieux ni aux
prêtres. Il disséquait froidement chaque relation, ne laissant place ni à
l'honneur, ni à l'engagement ou même à l'amour. La dernière strophe bannissait
tout espoir :
Ne te fie pas à l'Ombre,
Car l'ombre disparait en présence de la lumière,
Et le Brun doit capituler devant le Blond sur le champ de
bataille.
Ne te fie pas à la Lumière,
Car Il brandit une dague qui ira droit au cœur,
Et son âme est accoutumée à une cruauté sans bornes.
— Par les dieux, murmura Tom en reculant. Son visage était
d'une pâleur mortelle. C'est impossible.
— C'est ce que j'ai pensé autrefois, mon ami, dit Erkiah.
Et pourtant, c'est écrit.
— Ai-je bien compris ? Maître Archer est l'Ombre et
l'Ennemi la Lumière ?
— Selon les légendes, Ardred avait les cheveux les plus
clairs. Et tu ne dois guère être surpris qu'Archer soit appelé l'Ombre. Ses cheveux,
son visage — la manière dont il a survolé ce monde toutes ces années, sans être
vu...
Tom secoua lentement la tête.
— Mais si c'est vrai, Archer nous abandonnera.
Erkiah acquiesça.
Les traits de Tom se durcirent tandis qu'il complétait sa
pensée :
— Et notre avenir dépend d'Ardred.
5.
Le temple paraît agité, songea Tess. Toute la joie qu'elle
avait perçue la veille dans ses murs avait disparu, laissant la place à un
atroce sentiment de perte. Elle évita la statue d'Elanor, espérant qu'une autre
figure, une autre gracieuse représentation de pierre, lui parlerait cette fois.
Mais les pierres étaient silencieuses ; le chagrin qui émanait d'elles menaçait
d'écraser le cœur de Tess sous son poids. Le temple semblait avoir choisi ce
moment afin de pleurer la perte des Anari morts au combat.
— C'est
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