L'ultime prophétie
existait une sorte de conspiration
silencieuse, l'obligeant à porter une seule couleur, celle des loups des
neiges, de la Dame Blanche, de la Dame Filandière.
Une fois chaussés, ses pieds étaient si engourdis qu'elle ne
sentit plus le petit frottement de ses bottes neuves et put reprendre sa marche.
Elle rebroussa chemin vers Anahar. Le calme et la solitude lui avaient permis
de se détendre, un luxe qui lui était pratiquement inconnu. Durant ce bref
répit, elle avait cessé de s'inquiéter de trouver plus d'informations au
temple, elle avait échappé à des conseils de guerre et à la cacophonie
permanente de la foule rassemblée dans la ville pour la guerre à venir.
Un fragment de musique lui revint en tête, lui rappelant le
jour où Anahar avait chanté. Les pierres de la ville aux couleurs de
l'arc-en-ciel avaient brillé de l'intérieur au rythme de la musique, envoyant
un appel à tous les Anari, un appel audible si l'on se trouvait à proximité et
qui touchait le cœur si l'on était trop loin, selon la tradition anari.
Et les Anari étaient venus de toutes parts, abandonnant tout
afin de répondre à l'appel. Ils avaient formé une armée qui avait battu les
troupes de Tuzza.
Tess se demanda si Anahar rechanterait bientôt.
N'étaient-ils pas sur le point de partir en campagne, cette fois vers Bozandar
?
Le frisson qui la parcourut soudain ne devait rien au froid.
Elle n'arrivait pas à croire que ce qui restait de cette armée anari, même
alliée aux survivants des troupes de Tuzza, pourrait résister à la puissance de
Bozandar, ni même à une seule légion d'hommes frais de l'Empire.
Toutefois, ils devaient tenter leur chance. Leurs vies
n'étaient pas seules en jeu. Leurs responsabilités étaient graves — et de plus
en plus lourdes à chaque pas qui les rapprochait de la ville.
La musique résonna encore dans son esprit, comme si elle
essayait de lui dire quelque chose. Mais avant que Tess eût pu saisir le sens
de ce message, elle s'était tue.
Sans doute Anahar l'appelait-elle, lui disait-elle qu'il
était temps. Dès que cette pensée lui vint, elle comprit que ce n'était pas
Anahar qui l'appelait. Non, c'était autre chose, une force bien plus sombre
qu'Anahar le serait jamais, même dans le silence de la nuit la plus noire.
Oui, Tess. Tu viendras. Mais pas pour eux. Tu viendras
pour moi!
Tess écarta la voix de toutes ses forces, la chassant de son
esprit, et se mit à courir vers Anahar. Que lui importaient quelques ampoules
aux pieds. Elle savait qu'elle n'avait pas la force de résister à cette attaque
seule. Elle avait besoin de ses sœurs.
Maintenant.
Archer cherchait Tess afin de l'entretenir du départ de
l'armée. Elle était, qu'elle le sût ou non, le seul élément unissant les deux
groupes qui s'apprêtaient à marcher sur Bozandar. Lui-même, bien qu'il fût le
fils aîné du Roi Premier Né, était incapable de rassembler ces hommes comme
seule la présence de Dame Tess semblait le faire.
Il ne lui en voulait pas pour cela, même s'il s'interrogeait
toujours sur ses origines. Ayant autrefois entendu son nom utilisé comme cri de
ralliement et ayant vu ce qui avait suivi, il ne voulait plus jamais l'entendre
prononcé de pareille manière...
Il aperçut soudain Tess. Elle sortait en courant des bois à
l'entrée de la ville. Il s'inquiéta de la voir ainsi et éperonna sa monture
afin de la rejoindre.
Arrivé à sa hauteur, il vit la terreur sur son visage. Il
glissa à terre et s'approcha d'elle, la recouvrant de son manteau et se tenant
aux aguets, la main sur le fourreau de son épée.
— Etes-vous poursuivie ? Quelqu'un vous a-t-il fait du mal
?
— Non, non...
Il se détendit légèrement et la sentit frissonner.
— C'est lui, murmura-t-elle d'une voix rauque. C'est lui.
— Lui ?
Il savait, dans le fond de son cœur, de qui elle voulait
parler, mais refusait de l'accepter.
— Lui, chuchota-t-elle de nouveau, comme si elle craignait
de prononcer son nom. Je sens sa présence. Dans mes pensées, son contact est si
froid... plus froid que la glace même. Il me veut, moi.
Il l'enveloppa aussitôt de ses deux bras, comme s'il avait
pu la protéger de cet assaut. Comme si quiconque en était capable.
— Tess, dit-il. Tess...
Il ne put en dire davantage. Il ignorait comment une Ilduin
pouvait lutter contre une telle attaque de son esprit. Il n'avait aucune idée
de la manière dont il pouvait la protéger. Il ne
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