L'ultime prophétie
l'adapter à la situation présente.
— Jurez-vous sur votre vie de servir vos hommes dans la
loyauté et l'honneur, d'obéir aux ordres licites de vos supérieurs, de vous
dévouer corps et âme à votre devoir, de respecter et de porter fièrement la
noble histoire et les traditions des légionnaires bozandaris et de nos frères
anaris ?
— Oui-da, mon commandant, répéta Grundan. Je le jure sur
mon honneur et sur ma vie.
Tuzza sourit.
— Alors, relève-toi, officier Grundan, afin de recevoir
l'insigne de ta compagnie.
Grundan se leva et pivota élégamment sur lui-même. Il remit
son épée dans son fourreau et tendit les mains afin de recevoir l'étendard de
la compagnie qu'il commanderait désormais. Ce n'était plus la flamme immaculée
qu'ils avaient apportée de Bozandar des mois auparavant. A l'instar de
l'étendard de la légion de Tuzza, l'étoffe avait été déchirée et souillée par
la campagne militaire, à l'exception du symbole éclatant du loup des neiges,
cousu par un des soldats. Tuzza en eut les larmes aux yeux. Cet étendard était
le reflet des épreuves que ses hommes avaient traversées, de leur défaite et de
leurs espoirs de rédemption, nourris par leur allégeance nouvelle envers la Dame Filandière.
Grundan brandit l'étendard et le leva au-dessus de sa tête.
Son geste fut accueilli par les cris de joie de ses hommes. En d'autres temps,
en d'autres lieux, cette cérémonie n'aurait été qu'une simple formalité, une
passation de pouvoirs banale dont nul ne se serait souvenu. Mais ici et
maintenant, elle représentait bien davantage. Le début d'une nouvelle
tradition, un symbole d'espoir pour ceux que leur talent et leur engagement
conduiraient à combattre dans l'honneur et un avertissement à l'intention de
ceux qui comptaient sur le népotisme afin de leur garantir un statut social.
— Pour le loup des neiges ! cria Grundan.
— Pour le loup des neiges ! lui firent écho ses hommes.
La nouvelle de la promotion de Grundan se répandit
rapidement et les jours suivants, au cours de ses visites dans d'autres unités,
Tuzza constata que toutes avaient ajouté un loup des neiges — le compagnon de la Dame Filandière selon la prophétie — à leur étendard.
— Tes hommes se sont donné le surnom de Loups des Neiges,
dit Jenah Gewindi, qui accompagnait Tuzza.
Jenah, avec Ratha et Giri Monabi, avait été l'un des trois
principaux lieutenants d'Archer au cours de la campagne contre l'armée de
Tuzza. Giri était tombé au cours de la bataille du défilé tandis que Ratha
observait encore le deuil. Jenah était donc pour l'heure le seul commandant
anari en mesure de coopérer avec les officiers bozandari. Sur les ordres
d'Archer, il avait passé les deux derniers jours à visiter le campement
bozandari avec Tuzza, collaborant à l'entraînement des hommes et à la désignation
de nouveaux officiers lorsque cela s'avérait nécessaire.
— En effet, répondit Tuzza. Tout a commencé par le serment
de l'un des tiens. On m'a dit depuis que l'officier Grundan et deux de ses
hommes avaient décidé eux-mêmes d'ajouter le loup des neiges à leur étendard.
Cela ma aidé à rallier mes troupes et à les souder autour d'une nouvelle
identité.
Jenah hocha la tête.
— C'est important, commandant. Les Anari parlent à présent
de faire de même.
— Tes hommes accepteraient d'adopter l'étendard d'une
légion bozandari ? fit Tuzza, incrédule.
— Peut-être. Peut-être partageons-nous déjà un symbole et
une allégeance à une force qui dépasse nos deux peuples. C'est ce que j'ai dit
chaque fois qu'on m'a demandé mon avis sur la question.
— Une réponse très diplomate, dit Tuzza en souriant.
— La formation d'une alliance exige de la diplomatie,
répliqua Jenah en haussant légèrement les épaules. Mon peuple n'est pas plus
enthousiaste que le tien à l'idée de combattre côte à côte. Mais cette
association est indispensable et il incombe à des hommes comme nous de la
rendre possible.
— Combien êtes-vous ? Nous ne l'avons jamais su
précisément pendant la campagne.
— Nous n'avons jamais été plus de cinq mille hommes en
armes et encore moins nombreux à la fin.
Tuzza fronça les sourcils.
— Nous avons donc, en tout, à peine une légion.
— Sans doute. Mais même si nous étions trois fois plus nombreux,
nous ne pourrions toujours pas compter sur une supériorité numérique.
Weitere Kostenlose Bücher