L'ultime prophétie
poursuivit longtemps après que Cilla se fut tue car il se
rappelait les fois où Giri et lui s'étaient ligués pour faire rougir et pouffer
Archer lui-même.
Ratha pouvait saluer la mémoire de ce Giri-là. Le frère qui,
en dépit de journées longues et fatigantes, aurait pu faire rire un martyr sur
son bûcher. Le frère qui avait dissimulé des cailloux dans les bottes d'Archer,
si minuscules et si habilement placés qu'à chaque pas, ils chatouillaient
Archer entre les orteils.
Archer avait mis une demi-journée à déloger tous les
cailloux et trois jours de plus à préparer sa vengeance : il avait soigneusement
cousu des orties dans les braies de Giri, faisant sautiller et hurler ce
dernier jusqu'au moment où il put trouver et appliquer une plante apaisante sur
sa peau.
Ratha avait ri avec Archer de la mésaventure de son frère ;
ce n'était là que la juste punition du tour qu'il avait joué.
Il raconta ces anecdotes à Cilla, et d'autres encore, et le
rire de la jeune femme retentit à plusieurs reprises dans la montagne. Les
pierres elles-mêmes parurent réagir en luisant légèrement, comme si elles
approuvaient ce qui se passait. Cilla rapporta à Giri comment l'une des ses
cousines, ravie bien qu'insatisfaite, avait reçu le premier baiser maladroit de
Giri. Son récit, sans nul doute embelli, provoqua un tel fou rire chez Ratha
qu'il se tint les côtes.
— Giri était une bénédiction pour nous tous, dit-il dès
qu'il put reprendre son souffle.
— Oui, il l'était. Et il n'est devenu ce qu'il est devenu,
cher cousin, que parce qu'il n'a jamais fait les choses à moitié.
— En effet. Quel qu'il ait été, à tout moment, il vivait
la vie pleinement. Et s'il a vécu la guerre de la même manière, je prie pour
que la méchanceté n'en ait pas été la cause mais cette volonté de vivre
totalement chaque jour de sa vie.
Cilla s'approcha de lui et lui prit la main.
— Si nous le voyons ainsi, mon cousin, comment un dieu
juste et miséricordieux ne pourrait-il pas faire de même ?
Ratha ne retira pas sa main. Ce simple contact contenait le
début de quelque chose qu'il n'aurait jamais imaginé possible il y avait
seulement quelques jours : il sentit le début de sa guérison.
— Il me manquera toujours, répondit-il.
— A moi aussi. Mais il vit dans nos cœurs et dans nos
mémoires. Et j'ose ajouter avec certitude qu'il continue de vivre au-delà du
voile et qu'il est peut- être même en train de préparer de mauvais tours aux
dieux.
— Si c'est vrai, alors j'ai pitié d'eux.
— Viens manger avec moi, mon cousin. Tu as jeûné suffisamment.
La sérénité de sa voix, la douceur de son contact, le rire
qu'ils avaient partagé et plus encore, le fait qu'elle l'eût accompagné durant
son deuil, tout cela avait dissipé l'angoisse qui avait envahi son âme depuis
le moment où il avait vu Giri tomber sur le champ de bataille, songea Ratha.
Faire retraite seul était une décision honorable. Mais revenir vers son peuple,
vers son devoir n'était pas moins honorable, d'autant plus en ces heures décisives.
— Oui, ma cousine. Rentrons à Anahar et allons manger. Le
devoir nous attend tous les deux et il nous faut tout y sacrifier ; mais avant
cela, festoyons à la mémoire de Giri.
— J'ai attendu ces paroles pendant longtemps, dit Cilla en
se levant en même temps que lui.
— Et d'autres mots que je ne puis pas encore dire, ajouta
Ratha, un sourire malicieux sur les lèvres.
— Ne te moque pas, mon cousin ! se récria Cilla en
souriant aussi. Démonte la tente avant que je ne te déchire le cœur !
Ratha rit et ils prirent le chemin d'Anahar.
Son chagrin n'avait pas totalement disparu mais il avait
commencé son deuil et il avait le cœur plus léger.
Il était désolant, se dit Tess, d'arracher une nouvelle fois
Sara des bras de son mari, mais elle n'avait pas le choix. Viens ,
cria-t-elle à sa sœur par la pensée. Viens au temple et amène Cilla !
La réponse ne vint pas en paroles ; Tess sentit la surprise
de Sara, suivie d'un sentiment de peur. Sara lui dit enfin : Cilla est dans
les montagnes avec Ratha.
Alors appelle-la tout de suite !
Archer galopait à travers les rues d'Anahar, malgré
l'interdiction de chevaucher à cette allure dans la ville. Des étincelles jaillissaient
des sabots du cheval frappant les pavés. Les passants se dispersèrent sur leur
passage et, les reconnaissant, furent pris de
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