L'ultime prophétie

peur devant une telle hâte.
    Archer s'arrêta enfin brutalement sur la place devant le
temple.
    —   Je vais aller chercher vos sœurs, dit-il en glissant à
terre et en aidant Tess à descendre.
    —   J'ai déjà appelé Sara. Elle dit que Cilla se trouve
toujours avec Ratha. Elle va lui demander de venir.
    —   Cilla retrouvera son chemin rapidement.
    Archer la regarda longuement dans les yeux tout en lui
serrant le bras.
    —   Luttez de toutes vos forces, ma dame. Je vais quérir
toute l'aide que je pourrai trouver.
    Tess ne trouva aucun réconfort à l'intérieur du temple —
mais un tel sentiment lui était inconnu depuis qu'elle s'était réveillée seule
dans cette contrée. Le temple lui-même ne lui avait jamais procuré que chagrin
et mises en garde sur sa destinée.
    Malgré tout, elle se dit que les premières Ilduins qui
avaient ordonné et dirigé la construction de ce lieu avaient dû songer à se protéger
aussi bien qu'à l'enseignement. Elle chercha donc le centre, le cœur de
l'édifice. Puis elle s'assit sur le sol de pierre et attendit.
    Elle ignorait si la peur et la colère l'avaient repoussée ou
si le temple lui fournissait un abri spirituel mais Tess ne sentait plus la présence
insidieuse et glacée dans son esprit, ni les notes de musique qui l'avaient
annoncée.
    Elle ferma les yeux. Elle était gelée à cause du temps passé
dehors ; fort heureusement, l'hiver paraissait incapable de se frayer un chemin
jusqu'ici. La musique, songea-t-elle. La musique. Etait-ce pour l'ensorceler ?
Ouvrir une voie vers son esprit ? Ou pour une autre raison ?
    La musique était en tout cas magnifique. Aussi belle que le
chant d'Anahar. Archer n'avait-il pas dit que son frère avait été un beau jeune
homme blond et qu'il s'était servi de cette beauté pour diviser ?
    Elle tournait en rond, incapable de se concentrer sur une
pensée précise, comme si elle craignait qu'en ralentissant, elle ne permit à
l'Ennemi de se frayer un chemin jusqu'à elle. Où était Sara ? Et pourquoi
n'arrivait-elle pas à se réchauffer, quand elle était emmitouflée entièrement
dans son manteau ?
    Elle pensa à faire un feu, songea à quel point elle aimerait
se tenir près des flammes. Elle crut les voir et comme par magie, elle sentit
leur chaleur brûler ses joues froides.
    Ses yeux s'ouvrirent et elle eut un petit cri. Devant elle,
sur le sol de pierre, sans aucun bois pour l'alimenter, un feu brûlait
vivement. N'avait-elle donc besoin que de visualiser une chose pour l'obtenir ?
Cette pensée l'horrifiait.
    Elle vit alors que Sara se tenait de l'autre côté des
flammes. Combien de temps avait-elle été distraite ? Mais était-ce bien Sara,
en chair et en os ?
    Craignant d'être victime de son imagination, elle ouvrit la
bouche afin d'appeler Sara — lorsqu'un chant se fit entendre tout autour
d'elle. Tess leva la tête et vit soudain les mères des clans, toutes les mères,
en cercle autour du feu et des deux Ilduins. Leurs mains étaient jointes comme
pour former un anneau indestructible et elles entonnèrent une prière ancienne,
prononçant des mots que Tess ne comprenait pas.
    Sara lui sourit.
    — Cilla arrive. Elle sera bientôt là. Archer a dit que
l'Ennemi t'attaquait.
     Tess hocha la tête vigoureusement. Elle était engourdie
comme si elle était là depuis des heures et non depuis quelques minutes. Elle
avait dû s'endormir... ou être absente quelque temps. Dans un lieu dont elle ne
se souvenait pas. Elle avait perdu trop de temps.
    Elle fut prise de panique. Perdait-elle encore la mémoire ?
Allait-elle oublier les mois passés comme elle avait oublié sa vie précédente ?
Une terreur immense la tenailla.
    Comment pouvait-elle avancer si elle ne pouvait se fier à sa
mémoire ?
    Sara lui parla en pensée. Il t'attaque eu cet instant, ma
sœur. Il cherche à te faire douter de toi-même.
    Il y réussit , songea Tess.
    Si tu doutes de toi, tu seras une proie facile pour lui.
Cherche où est ta force.
    Quelle force ? Elle avait froid, elle avait peur et se
sentait si seule — aussi seule et effrayée que le jour où elle s'était
réveillée au milieu de la caravane massacrée.
    Mais elle ne sentait pas sa présence dans son esprit. Une
bonne chose — s'il y avait une chose dont elle était certaine, c'était que l'Ennemi
ne pouvait résider en elle sans qu'elle s'en avisât. Sa présence était trop
étrangère pour passer inaperçue et aussi reconnaissable qu'une empreinte