L'ultime prophétie
céder aux provocations de mon frère et de ne
pas tenter de créer un peuple nouveau. Elle m'a demandé : « Qu'est-ce qui te
fait penser que tu pourrais faire mieux que les dieux ? » Mais j'étais
tellement persuadé que nous pouvions créer un monde sans guerre.
Il partit d'un rire amer.
— Vois quelle a été ma réussite. Thériel refusa de
participer à la création des Anari, si ce n'est en les dotant d'une longue vie
et de talents artistiques. Elle est ensuite partie en nous recommandant de
retrouver nos esprits. Sa mort a provoqué la bataille finale. Et la destruction
de Dederand par ses sœurs, qui ont fait de la Deuxième Cité une plaine de verre noir.
— C'est si horrible, dit Tom.
— Une horreur indicible. La mort de Thériel... Je sais que
les légendes racontent que mon frère l'a tuée. C'est faux. Il l'a capturée et a
cherché à la faire sienne, comme il essaie aujourd'hui de soumettre la Dame Filandière. Ma Thériel s'est donné la mort plutôt que de rompre ses vœux envers moi. Et
notre fils est mort avec elle.
— Je suis tellement désolé...
Le cœur de Tom se serra en songeant à la réaction qui serait
la sienne si pareille chose arrivait à Sara. Il doutait de sa capacité à
demeurer sain d'esprit.
— J'ai perdu le meilleur de moi-même en perdant Thériel,
reprit Archer. J'ai entendu cette phrase prononcée souvent mais elle est si
vraie dans mon cas. Elle a toujours cherché par sa douceur et ses paroles à me
guider sur le chemin le plus juste, vers le bien. J'aurais dû l'écouter
davantage. Au lieu de cela, je suis tombé dans le piège que me tendait mon
frère et je me suis laissé aller à la colère. Il lui fut ensuite facile de me
provoquer et de nous mener, mes compagnons et moi, vers la guerre qu'il
voulait.
— Mais pourquoi voulait-il une guerre ?
— Je ne suis certain d'avoir la réponse à cette question.
Je soupçonne les dieux d'y être pour quelque chose. Notre père nous avait
traités de façon équitable. Il était le roi et moi son aîné mais ils nous donna
à chacun une ville et des terres. L'une s'appelait Samarand, la Première Cité ; l'autre Dederand, la Deuxième Cité ; mais ce n'était que des noms. Mon frère désirait avoir Thériel. Peut-être est-ce la raison : il s'est senti insulté
lorsque Thériel ne l'a pas choisi.
— Mais la légende ne dit-elle pas qu'elle n'avait choisi
aucun de vous ?
Archer esquissa un sourire plein d'amertume.
— Notre père aurait agi en souverain bien plus sage s'il
n'avait pas décidé de nous cacher, Ardred et moi, en un lieu où nous pouvions
entendre la réponse de Thériel lorsqu'il lui demanda lequel de nous elle
voulait épouser.
— Je me souviens des mots de la légende. Elle dit : « Si
j'épouse Annuvil, Ardred le tuera, et je ne peux épouser Ardred. »
— Oui-da, elle parla bien ainsi. Ses mots sont gravés dans
mon cœur comme s'ils y avaient été marqués au fer rouge. La joie qui emplit mon
être ce jour-là me rendit aveugle à l'humiliation ressentie par mon frère. J'ai
pesé ces mots au fil des années et ai fini par comprendre leur sagesse. Si nous
ne les avions pas entendus, mon père l'aurait laissée aller et aurait cessé de
faire pression sur elle afin qu'elle épousât l'un de nous. Nous aurions partagé
en frères le même chagrin et nos rapports se seraient peut-être apaisés. Hélas
nous l'avons entendue et savions qui elle préférait. La réconciliation, difficile
auparavant, était devenue impossible.
— Mais ce différend n'aurait-il pu être réglé entre vous
deux seuls ?
— Comme je te l'ai dit, nous étions pétris de faiblesses.
Ardred avait rassemblé une faction prête à le soutenir. Cela lui a donné plus
de poids au sein du conseil royal ; il est devenu clair que si un événement
mettait fin au règne de notre père, Ardred prendrait sa succession. Je croyais
m'en moquer car Samarand m'occupait déjà bien assez. Ma belle épouse pensa de
même après notre mariage. Mais mon père avait constaté la soif de pouvoir
d'Ardred et le jugea incapable d'assumer cette charge. A sa demande et à mon
insu, une ligue fut constituée, qui m'appuya au sein du conseil. Nous nous
opposâmes bientôt à de nombreux projets d'Ardred. Celui-ci persuada les
habitants de Dederand que le nom de Deuxième Cité ne voulait pas simplement
dire qu'il s'agissait de la deuxième ville bâtie par les Premiers Nés. Non,
leur
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