L'ultime prophétie
dit-il avec éloquence, ce nom signifiait qu'ils étaient considérés comme
des sujets de second rang, que leur influence était moindre que celle de Samarand,
que leurs aspirations valaient moins... Faut-il que je continue ? La jalousie
et l'envie se sont emparées des Premiers Nés. Et nous ont menés à la guerre. Au
début, les affrontements furent brefs, quelques guerriers de-ci de-là cherchant
à marquer leur point de vue. Les Premiers Nés parurent ensuite y prendre goût.
Ou en tout cas, développèrent une sorte d'indifférence face à l'horreur.
— J'espère que cela ne m'arrivera jamais.
— Je l'espère aussi, Tom. Car les hommes sont pires que
des bêtes lorsqu'ils deviennent impitoyables à la souffrance d'autrui. La
guerre germa parmi nous telle une maladie honteuse, alimentée par des jalousies
et des rancœurs déraisonnables et, plus tard, par l'esprit de revanche. Et je
ne fus pas meilleur que les autres.
— Je pense que vous vous sous-estimez.
Annuvil secoua la tête.
— J'ai tiré d'amères leçons du passé, Tom. Mais trop tard.
Thériel avait beau nous répéter, lors des assemblées du conseil, que nous
avions perdu la tête, nous avons tous fait la sourde oreille. Je crois même...
je crois même que je l'ai perdue en partie alors.
Il secoua la tête comme pour écarter une pensée douloureuse.
— Je sais que je l'ai déçue. Je n'ai pas été l'homme
qu'elle pensait que j'étais.
Tom, mû par une impulsion, saisit le bras d'Archer.
— Combien de fois m'avez-vous, avec les autres, empêché de
me salir les mains ? Parfois, il m'arrive encore de vouloir être un guerrier
—je me sens si inutile, sans rien à offrir qu'une énigme ou une prophétie de
temps en temps. Mais vous ne devez pas vous considérer comme inférieur car nous
avons tous fait la guerre à notre manière, n'est-ce pas ? Les combats se
poursuivent aujourd'hui. Et nous avons l'occasion de redresser des torts très
anciens.
— L'avenir nous le dira. Mais sois-en sûr, Tom, je ne suis
pas l'homme que je devais être. Je ne suis pas sûr de pouvoir devenir cet
homme, l'homme qui aurait été digne de Thériel.
Archer se leva et s'éloigna dans la nuit, juste au moment où
une pluie fine commençait à tomber. Le feu siffla et crachota. Tom contempla
les flammes, son bandeau de cuir rendant la lumière tolérable, et eut
l'impression désagréable de voir un visage moqueur apparaître dans le feu.
Il repensa aux horribles images contenues dans le poème et,
une fois de plus, se sentit mal à l'aise. Un esprit capable de créer ces images
et d'éprouver un tel désespoir, une telle amertume et même pareille haine... Ce
n'était pas l'Archer qu'il pensait connaître ; or c'était tout de même lui.
Il serait raisonnable, décida-t-il enfin, de rester
vigilant. Il ne pouvait encore deviner à ce stade qui était le traître qu'il
voyait dans ses visions troubles de l'avenir.
Ce traître pouvait être Archer.
Il plut à verse toute la nuit. Les hommes qui ne disposaient
pas de tente se mirent à l'abri sous des boucliers ou tout autre abri de fortune.
Il pleuvait rarement plus que quelques gouttes dans le désert et cet orage
nocturne, accompagné de tonnerre et d'éclairs, inquiéta nombre d'hommes.
Le désert était sec, évidemment, mais son aridité ne put
absorber une pluie aussi torrentielle, si bien que de petites flaques et de
petits ruisseaux se formèrent dans tous les creux et rigoles.
Les trois Ilduins se trouvaient sous la tente de Tess. Elles
écoutaient la pluie battre la toile tout en tentant d'éclaircir les sentiments
et les images qui envahissaient peu à peu leurs esprits.
— Je sens qu'elles tentent de nous atteindre, dit Sara.
D'autres Ilduins. Je ne puis dire si elles sont corrompues ou non. Mais elles
sont troublées par les événements.
— Moi aussi, dit Cilla. J'aimerais pouvoir les mettre à
l'épreuve. Si nous nous alliions avec une mauvaise Ilduin, nous aiderions notre
ennemi.
Tess hocha la tête et versa une tisane brûlante aux herbes
amères dans des chopes de grès. Ce geste lui en évoqua confusément un autre —
qu'elle ne put se rappeler, comme d'habitude. Elle avait renoncé à rassembler
ses souvenirs, ayant la certitude qu'Elanor ne lui dévoilerait que ceux qu'elle
choisirait. Jusqu'alors, Tess resterait une marionnette entre les mains des
dieux.
— Cette pluie n'est pas naturelle, dit-elle en posant la
théière sur la
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