L'ultime prophétie

table pliante. Le sentez-vous ? Pas plus que cet hiver.
    Ses sœurs l'approuvèrent.
    —   Mais plus encore, poursuivit-elle enjoignant les mains
et en fermant les yeux, elle est... Elle se tut, l'esprit fixé sur une image
étrange. Je vois quelque chose.
    Elle se leva et sortit sous le déluge. Elle considéra le
ciel et les éclairs, tout en tâchant de saisir ce qu'elle ressentait obscurément.
    —   Tess ? Ses sœurs l'avaient suivie et se tenaient à ses
côtés, de plus en plus trempées. Qu'y a-t-il ?
    —   Je vois... Je vois...
    Elle voyait en effet quelque chose, bien qu'elle ne sût pas
de quoi il s'agissait au juste. Un filet doré semblait recouvrir le ciel ; il
aurait dû être d'une beauté lisse mais il était noirci et tordu par endroits.
Une partie d'elle-même se rebella contre cette laideur et elle tenta de
l'imaginer intact, épargné par ce qui l'avait abîmé ainsi.
    Car au fond de son cœur, elle savait que ces meurtrissures
n'étaient pas naturelles.
    —   Tess ?
    Elle entendit à peine ses sœurs. La partie d'elle-même qui
avait soigné tant de blessures parut jaillir de son cœur vers le filet doré.
Elle le fixa tandis que son pouvoir lui restaurait peu à peu sa beauté
originelle.
    La pluie s'arrêta. Elle ne le remarqua pas. Le ciel
s'éclaircit. Ce qu'elle ne vit pas non plus. Elle ne voyait que le filet et
comprit soudain qu'elle était découverte. Une obscurité se mit à se répandre à
partir des bords du filet...
    Un sentiment de terreur l'envahit et son pouvoir revint vers
elle, cherchant à fuir cette noirceur insidieuse qui rampait vers elle.
    Elle se sentit faible tout à coup et s'effondra sur le sol.
    —   Tess ? s'exclamèrent Sara et Cilla en la saisissant si
fermement qu'elles lui firent mal. Tess ? Parle-nous !
    Tess resta consciente juste assez longtemps pour dire :
    —   J'ai vu le temps et l'espace. J'ai vu comment il agit
sur eux. Je l'ai vu venir à ma recherche.
    Puis le noir total, enfin.
     
    ***
     
    Archer arriva aussitôt que Cilla le prévint. Ratha et Tuzza
l'accompagnaient.
    —   Que lui arrive-t-il ? s'enquit-il en entrant dans la
tente.
    Le ciel crachait de nouveau des torrents d'eau. Une rivière
coulait sous la tente, menaçant de la balayer.
    —   Je ne sais pas au juste, dit Sara. Elle est sortie sous
la pluie et s'est mise à fixer le ciel. Nous avons senti... un pouvoir émaner
d'elle, différent de tout ce que nous avions connu jusque-là. Puis elle s'est
effondrée.
    —   A-t-elle dit quelque chose ?
    —   Elle a parlé du temps et de l'espace et du fait qu'il
venait la chercher.
    Archer redressa la tête brusquement.
    —   Du temps et de l'espace ?
    —   Oui-da.
    Les Ilduins et les deux officiers le regardèrent. Cilla
parla la première.
    —   Vous savez de quoi il s'agit.
    Archer s'agenouilla près de Tess et lui effleura les joues.
    —   Allez chercher plus de couvertures. Elle est transie de
froid.
    Les deux femmes lui obéirent du mieux qu'elles le purent.
Cette armée ne disposait pas de beaucoup de matériel.
    —   Archer, insista Sara, que voulait-elle dire ?
    —   Elle est réellement la Dame Filandière.
     —  La plupart d'entre nous le savait déjà.
    Il leva la tête et dévisagea ses quatre compagnons.
L'angoisse marquait chacun de ses traits.
    —   Elle a vu le temps et l'espace. La toile qui sous-tend
notre monde. Qui a servi aux dieux à le bâtir.
    —   Et?
    —   Bien sûr qu'Ardred la veut. Si elle peut manipuler le
temps et l'espace, elle est aussi puissante que les dieux eux-mêmes.
    Sara secoua vivement la tête.
    —   Elle a fait cesser l'orage et elle s'est évanouie. Elle
était arrivée au bout de ses forces.
    —   Mais si ses forces grandissaient ? Personne ne pourrait
plus l'arrêter, pas même les dieux.
    Le silence régna sous la tente, exception faite du bruit de
la pluie sur la toile. Archer se pencha, caressa doucement la joue de Tess,
puis se releva.
    —   Ecoutez-moi attentivement, dit-il. Quels que soient les
dangers qui nous menacent dans les jours à venir, elle ne doit jamais tomber
entre les mains de l'Ennemi. Jamais.
    Il regarda tour à tour ses compagnons et vit l'horreur se
peindre sur leurs visages.
    —   Je le répète, elle ne doit jamais tomber entre ses
mains. Même au prix de sa vie.
    Sur ces mots, il sortit de la tente à grandes enjambées. Le
petit groupe échangea des regards troublés, se demandant s'il avait raison.
    Ou