L'ultime prophétie

L'esclavage est un immense fléau.
    —   Je n'ai jamais possédé d'esclave, dit Alezzi. Mon cousin
Maluzza non plus. Tous les Anari du palais sont libres. Mais mon cousin dit
vrai, Tom. A cause du passé, tout changement doit être mené avec prudence.
    —   Pourquoi alors, permettez-vous aux marchands d'esclaves
d'enlever des hommes et des femmes dans les villages anari ? Pourquoi laisser
vos armées pénétrer dans des villes sans défense et arracher les jeunes, si
précieux, aux clans ? Pourquoi souffrir pareille ignominie ?
    L'empereur baissa la tête.
    —   Je ferais peut-être bien de ne pas laisser le sang ilduin
me juger.
    —   En effet, dit Tom, furieux. Vous parlez de changer les
choses progressivement mais vous n'avez rien fait au cours de votre règne !
    Les soldats se rapprochèrent mais l'empereur les arrêta d'un
geste.
    —   Le jeune prophète a raison.
    —   Vous vous êtes préoccupé davantage de ce que pensaient
de vous les classes les plus aisées que du fait que les Anari étaient enlevés,
vendus et enchaînés comme du bétail. Vous reconnaissez une faute mais avez peu
fait, voire rien, pour la corriger. Ce qui vous rend pire que bien d'autres
hommes.
    Ces paroles sortirent de la bouche de Tom comme une sentence
divine. Il porta la main à son visage et retira son masque de cuir, dévoilant
ses yeux étranges, des yeux dont l'iris était si pâle que la pupille paraissait
occuper tout le globe. Lorsque la lumière les frappa, ils émirent une lueur
rouge.
    Tous ceux qui le virent poussèrent un cri et reculèrent.
    —   Le feu des Ilduins soigne mais purifie également. Avant
de faire face au mal que nous devons combattre, vous devez vous purifier,
Maluzza Forzzia, car le mal attire le mal à lui. Afin de protéger votre peuple
et les guider dans cette guerre, vous devez vous libérer du mal vous-même ! Les
Ilduins débarrasseront le palais des espions mais qui purifiera le trône ?
    Alezzi sembla sur le point d'intervenir afin de le faire
taire, comme s'il craignait la réaction de l'empereur devant un traitement si
irrévérencieux. Sara paraissait, elle aussi, prête à défendre son époux.
    Mais cela s'avéra inutile.
    —   Personne ne m'a parlé si justement depuis longtemps, dit
Maluzza d'une voix accablée. Alezzi, tu es resté loin de moi trop longtemps.
    Alezzi soupira.
    —   Je ne pouvais supporter de rester ici.
    —   Ainsi, tu avais toi aussi compris.
    Alezzi baissa la tête.
    —   J'ai été mal conseillé, dit l'empereur en regardant
autour de lui. Comment puis-je gouverner si personne ne me dit la vérité ? Si
personne ne me rappelle ce qui est bien et juste ?
    Nul ne répondit. Pas une seule voix ne s'éleva.
    —   Scribe !
    Un homme se hâta de le rejoindre, une tablette et un stylet
à la main.
    —   Majesté !
    —   Ecris cette nouvelle loi. Tous les esclaves sont libres
et l'esclavage désormais interdit sous peine d'emprisonnement. Ajoute que tout
soldat qui s'enrichira en faisant le commerce des esclaves le fera au péril de
sa vie et de ses biens.
    Des murmures s'élevèrent à ces paroles, qu'interrompit la soudaine
annonce d'un garde :
    —   Majesté, les Ilduins et l'homme qui se fait appeler
Annuvil sont arrivés.
     
    25.
     
    Ardred se pencha plus près de la vieille sorcière et écouta
les paroles qu’elle marmonnait. Elle ne paraissait plus en mesure de rapporter
ce qui se passait dans la salle d'audience de l'empereur bozandari. Leur nid
d'espions avait été attaqué, semblait-il, bien qu'elle fût avare de détails.
    Il contint son envie de la frapper afin que, si elle le
trompait d'aucune manière, elle cessât aussitôt. Il possédait son âme depuis
trop longtemps, se rappela- t-il. Elle ne résistait plus à aucun de ses caprices
ou requêtes. Elle avait appris de longue date ce que la résistance pouvait lui
coûter.
    Elle tourna son visage ridé et squelettique vers lui. Ses
yeux aveugles étaient inexpressifs.
    —   Je n'arrive pas à en apprendre davantage, mon seigneur.
La fillette est inconsciente. Izza a été libéré et tant que l'un des espions
n'aura pas été autorisé à approcher l'empereur, il ne servira à rien.
    —   Et les autres ?
    Elle ferma ses yeux horribles et sans vie.
    —   Ils préparent un plan pour entrer dans la salle
d'audience. Mais ils ne sont pas tellement nombreux.
    —   Non.
    C'était ce qu'il avait voulu. Ne contrôler que des personnes
clés à l'intérieur