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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Rousset
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poils ;
quelques agents de la Gestapo arrêtés pour tripotages financiers, en raison d’intrigues
intérieures ; miliciens volontaires dans les Waffen S.S. ayant contrevenu
aux règles militaires, commis des délits criminels. Dépistés, la vie de ces
larves devenait très difficile et l’extermination les guettait, à coups de matraque,
à coups de bottes dans un coin, à crever lentement sous les jurons et les Gummi,
dans un Kommando. Avec les grands arrivages du second semestre de 1944, le
nombre des politiques augmenta. Francs-tireurs, partisans, parqués à Sachsenhausen
pour le « sport » avec au minium une croix sur le front et sur les
joues ; communistes internés par Vichy depuis 1940 ; gaullistes, des
médecins (beaucoup de médecins depuis le début), des fonctionnaires (et surtout
une pléthore des services du Ravitaillement, de petits bourgeois en grand nombre
par wagons de cent ou de cent vingt, en files interminables, des cheminots saboteurs
et enfin, les derniers, les « notables », les « proéminents »,
qui ont soulevé un raz de marée de fureur et d’injures à Neuengamme, parce que
les S.S. ont vidé les malades de deux Blocks du Revier pour leur faire place. Ceux-là
ne travaillent pas et ne font pas non plus de sport. Une grande foule d’innocents,
la conscience bourrelée d’une injustice notoire, qui étaient là pour des bagatelles :
pour avoir sifflé les actualités au cinéma, s’être trouvés par guigne chez des
gens alors que la Gestapo les arrêtait, avoir tenté de passer la frontière pour
des questions d’affaires, pour des mobiles privés ; en raison de
dénonciations anonymes et irresponsables ; pour avoir cru trop tôt au
débarquement et avoir laissé inscrire leur nom sur une liste de la Résistance
sans jamais avoir fait plus ; enfin, un bon nombre pour rien. Tous ceux-là
tenaient mal. Ils manquaient de point d’appui. Ça se désarticulait dans le
cerveau et ça, dans les camps, c’était la fin.
    Les camps ont été faits pour les politiques allemands, précisément
pour eux. Ce n’est qu’accessoirement que les camps se sont ouverts aux
étrangers. Lorsque les Seigneurs engagèrent leurs blindés sur les routes de l’Europe,
les camps étaient prêts à devenir la pierre angulaire du nouvel empire. Les politiques
allemands avaient servi de cobayes pour l’élaboration d’une science de la
torture en pleine maîtrise de ses moyens. En conséquence, après dix ans, leur
phalange était plutôt réduite. De centaines de mille, ils se dénombraient, en
1943, quelques dizaines de milliers. Les « droit commun » allemands, au
contraire, en pleine vigueur, et la guerre avait encore multiplié les arrivages.
Ils étaient pour les S.S. la lie de la société, une lie nauséabonde, des
excréments, mais des excréments de la race des seigneurs et, à ce titre, ils
étaient de droit, par hérédité, en quelque sorte, les maîtres de toutes les
peuplades de l’Europe transmutées en concentrationnaires. Ils se révélèrent
laquais zélés et imaginatifs. La faune est variée : des criminels les plus
notoires aux suppôts du marché noir, aux restaurateurs contrevenants, en
passant par les voleurs, les escrocs, les souteneurs. La prostitution
fournissait de riches contingents et plus encore chez les femmes. En marge, on
trouvait les non-sociaux, les inassimilables : romanichels, vagabonds de
toutes couleurs, réfractaires au travail obligatoire ; le groupe des
malades, des tarés : toutes les dépravations sexuelles et les pédérastes
connus sous le numéro qu’ils portaient : 175. Enfin, proches des politiques,
les objecteurs de conscience, les hommes de la Bible.

VII
LES UBUESQUES
    Le peuple des camps, c’est un monde à la Céline avec des
hantises kafkéennes. La mode est verte. Un homme, les mains liées, agenouillé
sur une barre de fer qui pénètre lentement, inexorablement, dans la peau, la
face ruisselante de sueur, les yeux exorbités sur un phare implacable, immobile,
qui le fixe des heures d’éternité, brûle les paupières, vide le cerveau et l’habite
de peurs démentes et de désirs comme des soifs inétanchées : le sort du
concentrationnaire. Le long de tous les chemins et pour toutes les heures, les
S.S. ont construit des violences. L’homme ne peut les fuir et vit, l’angoisse
en éveil, dans leur attente. Elles corrompent merveilleusement toutes les
résistances et toutes les dignités. Les hommes verts sont

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