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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Rousset
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emploi total de tout et de tous, des
boiteux, des sourds, des aveugles et des P.G., les S.S. embrigadèrent à coups
de fouet dans les tâches les plus destructrices la meute aveugle des
concentrationnaires. Mais sans jamais atteindre la fonction principale, fondamentale,
des camps. Ce fut seulement source nouvelle et inépuisable de contradictions. La
nourriture améliorée, les Reviere ouverts en fonction de rendements imposés :
mesures défaites quotidiennement par les traitements non-abolis des Lager.
    Les rythmes du travail se trouvèrent parfois ralentis. Ainsi
à Helmstedt, dès janvier 1945. L’aménagement des ateliers Siemens arrivait à
achèvement. Les Meister allemands, pour conserver les avantages d’une
tranquillité relative et d’un bon ravitaillement, prolongeaient le plus
possible les derniers travaux. En février et en mars, le bétonnage des couloirs
fut suspendu faute de ciment. Les trains restaient quelque part dans le pays
sur des voies détruites. Les machines-outils, tout l’équipement industriel, arrivaient
avec des retards considérables. Mais que le S.S. apparût dans la mine ou sur le
chantier, il fallait que les hommes travaillent et vite. N’y avait-il plus rien
à faire, alors on détruisait ce qui était fait pour recommencer. Les S.S. signifiaient
ainsi que le travail des concentrationnaires n’avait pas pour fin essentielle
la réalisation de tâches précises, mais le maintien des « détenus protégés »
dans la contrainte la plus étroite, la plus abêtissante.
    Cette notion des êtres inférieurs, organiquement mauvais, était
si naturelle et si naïve chez les S.S. et s’accompagnait d’un tel mépris, d’une
si longue habitude de toutes les bassesses, d’une foi si complète en la valeur
de leur système pour briser les dignités, qu’ils en venaient à considérer comme
une grâce la désignation de quelques-uns à des travaux de choix – ce qui
explique la burlesque entreprise d’atteler les détenus à des recherches de
laboratoire.
    Cette intime assurance d’être par élection voué à dominer, et
qu’il était sacrilège d’élever seulement un doute, éveillait en eux des rages
jamais apaisées contre les femmes concentrationnaires. Qu’elles existassent
seulement leur était un défi furieux qui les saoulait de colère. Et cette âpre
nécessité de l’expiation, mêlée à tous les ressorts sexuels déchaînés, explique
les représailles.
    La haine insensée qui préside et commande toutes ces
entreprises est faite du spectre de toutes les rancœurs, de toutes les
ambitions mesquines déçues, de toutes les envies, de tous les désespoirs
engendrés par l’extraordinaire décomposition des classes moyennes allemandes
dans cet entre-deux-guerres. Prétendre y découvrir les atavismes d’une race, c’est
précisément faire écho à la mentalité S.S. Chaque catastrophe économique, chaque
effondrement financier, et des pans entiers de la société allemande s’écroulent.
Des dizaines de milliers d’êtres sont arrachés aux formes d’existence
traditionnelles qui sont physiquement les leurs et condamnés à une mort sociale
qui est avilissement et torture pour eux. Le cadavre des croyances, la hantise
des conforts défunts, les horizons intellectuels les plus stables basculés, il
ne reste qu’une extraordinaire nudité faite de rage impuissante, de hargne
criminelle affamée de vengeances et de revanches.
    Le national-socialisme a élevé au niveau des mythes toutes
les bassesses libérées par les tremblements de terre de la société allemande. Sa
propagande a génialement asphyxié les cerveaux et mobilisé les haines
exaspérées. La nécessité de mystifier les masses pour servir les maîtres a
conduit la propagande à créer d’étonnants personnages incarnant tous les
désespoirs, se nourrissant de tous les crimes : le communiste, le Juif, le
démocrate. C’est une fabuleuse mise en scène d’images d’Epinal qui monte le
décor de la mentalité S.S. Dans l’effrayante nullité intellectuelle que la
mystification impose, les appétits se sont jetés comme des orages sans regards
sur ces mannequins dressés dans les ruines et qui avaient au moins l’avantage d’être
à la portée de la main. La propagande a jeté dans le monde la passion du lynch.
Le lynch réalisé, industrialisé, a créé cet empire étonnant, l’assouvissement d’une
foule humiliée et désespérée : les camps de concentration.
    *
    * *
    Ce

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