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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Rousset
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de
privilèges, exerçant l’autorité, rend impossibles toute unification des
mécontentements et la formation d’une opposition homogène. Elle est enfin (et c’est
dans l’univers concentrationnaire sa raison suffisante et définitive d’être) un
merveilleux instrument de corruption. La métaphysique du châtiment propre aux S.S.
impose comme une nécessité absolue l’existence de cette aristocratie.

XII
LES HEURES SILENCIEUSES DES S.S.
    La connaissance de la bureaucratie, c’est la métaphysique
des camps. Hauts lieux d’un châtiment impitoyable, les S.S., sacrificateurs furieux
voués à un Moloch aux appétits industriels, à la justice bouffonne et sinistre :
Ubu-Dieu. La santé mentale n’a plus rien à voir ici. Il est normal, lorsque
toutes les forces vives d’une classe sont l’enjeu de la bataille la plus
totalitaire encore inventée, que les adversaires soient mis dans l’impossibilité
de nuire et, si nécessaire, exterminés. Le but des camps est bien la
destruction physique, mais la fin réelle de l’univers concentrationnaire va
très au delà. Le S.S. ne conçoit pas son adversaire comme un homme normal. L’ennemi,
dans la philosophie S.S., est la puissance du Mal intellectuellement et
physiquement exprimée. Le communiste, le socialiste, le libéral allemand, les
révolutionnaires, les résistants étrangers, sont les figurations actives du Mal.
Mais l’existence objective de certains peuples, de certaines races : les
Juifs, les Polonais, les Russes, est l’expression statique du Mal. Il n’est pas
nécessaire à un Juif, à un Polonais, à un Russe, d’agir contre le
national-socialisme ; ils sont de naissance, par prédestination, des
hérétiques non-assimilables voués au feu apocalyptique. La mort n’a donc pas un
sens complet. L’expiation seule peut être satisfaisante, apaisante pour les
Seigneurs. Les camps de concentration sont l’étonnante et complexe machine de l’expiation.
Ceux qui doivent mourir vont à la mort avec une lenteur calculée pour que leur
déchéance physique et morale, réalisée par degrés, les rende enfin conscients
qu’ils sont des maudits, des expressions du Mal et non des hommes. Et le prêtre
justicier éprouve une sorte de plaisir secret, de volupté intime, à ruiner les
corps.
    Cette philosophie seule explique le génial agencement des
tortures, leur raffinement complexe les prolongeant dans la durée, leur
industrialisation, et toutes les composantes des camps. La présence des
criminels, la mise en commun brutale des nationalités en brisant toutes les
compréhensions possibles, le mélange calculé des couches sociales et des
générations, la faim, la crainte permanente enfoncée dans les cerveaux, les
coups – autant de facteurs dont le seul développement objectif, sans autres
interventions, conduit à cette désagrégation totale de l’individu qui est l’expression
la plus totale de l’expiation.
    Une telle philosophie n’est pas gratuite et ne contribue pas
seulement à l’assouvissement de déséquilibres nerveux. Elle remplit une
fonction sociale éminente. La mort ne dégage que très peu de terreur. Les
longues avenues silencieuses de pendus n’irradient que de médiocres hantises. La
torture en permanence, transformée en condition naturelle d’être, entretient
une peur autrement puissante. Les camps, par leur existence, installent dans la
société un cauchemar destructeur, éternellement présent, à portée de la main. La
mort s’efface. La torture triomphe, toujours vivante et active, déployée comme
une arche sur le monde atterré des hommes. Il ne s’agit plus seulement de
réduire ou de paralyser une opposition. L’arme est d’une efficacité singulièrement
plus grande. Les camps châtrent les cerveaux libres.
    Les camps : sombres et hautes cités solitaires de l’expiation.
Ce qui justifie le « sport » dans les camps à l’état pur, la torture
nue comme une épée neuve jamais au fourreau. Le travail est entendu moyen de
châtiment. Les concentrationnaires-main-d’œuvre sont d’intérêt second, préoccupation
étrangère à la nature intime de l’univers concentrationnaire. Psychologiquement,
elle se raccroche par ce sadisme de contraindre les détenus à consolider les
instruments de leur anéantissement.
    C’est en raison d’accidents historiques que les camps sont
devenus aussi des entreprises de travaux publics. L’extension de la
guerre à l’échelle mondiale exigeant un

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