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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Rousset
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cambouis des usines, qui éclate et s’efface dans les
couloirs des mines et dans les aventures de fer en plein ciel : hantise de
l’espion et, dans les yeux des hommes, recruteur de concentrationnaires, les
pensées éteintes par la présence hurlante sur les murailles, hantise nue. En
placards violents, des dérisions de prêtre, de capitaliste et de Juif : personnages
cloués à l’assiette au beurre, couleur incendie publicitaire, dominent la porte
des camps. Humour contrefaçon, humour S.S. Le S.S. responsable du camp a pour
titre Schutzhæftlingsführer. Affiche criarde, comme ces rires de fou qui jamais
ne finissent, épouvantail dans une contagion de rire : les Schutzhæftlinge,
les « détenus protégés », sont les prisonniers politiques. La Bible S.S.
enseigne, en effet, que les détenus politiques ont été jetés dans les camps
pour les protéger contre la juste fureur du peuple. L’adjoint au commandant S.S.,
l’Unterschutzhœftlingsführer, complète la direction supérieure locale.
    Sous cette double autorité se groupent : l’Oberscharführer,
sergent-chef ; le Scharführer, sergent ; le Rapportführer et, à la
base, les S.S. chargés soit de la garde, soit de fonctions particulières de
contrôle, comme le Blockführer, responsable d’un ou de plusieurs bâtiments.
    C’est un principe constant que, dans ce cadre, la gestion du
camp soit entièrement remise aux détenus. Les S.S. se cantonnent dans un rôle
de direction et de contrôle. A Buchenwald, en dehors des appels, il était très
rare de voir des S.S. dans le camp. Par contre, à Neuengamme, les Blockführer
venaient très fréquemment visiter les Blocks dont ils avaient la responsabilité.
Ils ne restaient guère plus de dix minutes. L’Obersturmbannführer et le
Sturmbannführer ne sont présences visibles pour les détenus que pendant les
appels et encore relativement peu et dans les camps de moyenne importance.
    Chaque détenu a le droit d’en appeler au Blockführer, au
Rapportführer ou au commandant. Le commun des mortels, par une juste prudence, ne
s’y risque jamais.
    Pendant onze années, les S.S. assurèrent la garde du camp et
des Kommandos de travail. Leur présence constante aggravait très durement le
sort des hommes : pas ou peu de possibilité de ralentir le rythme du
travail, aucun relâchement du côté des Kapos et des Vorarbeiter, une grêle
ininterrompue de coups. La situation se modifia au début de 1944. Dès avril, à
Neuengamme, les soldats de la Flak (D.C.A.) remplacèrent les S.S. dans la garde
du camp et des Kommandos. Les S.S. conservaient les pleins pouvoirs, y compris,
dans une large mesure, sur les militaires, mais ils n’étaient plus constamment
présents. Même pour les inspections, les Feldwebel se substituèrent très
souvent aux S.S. L’amélioration fut très sensible. Ces modifications s’étendirent
à presque tous les camps. Dora, cependant, ne connut que les S.S. jusqu’à la
libération. Les femmes non plus ne profitèrent pas entièrement de ces avantages.
Des Posten les surveillaient, mais une femme S.S. était toujours présente. Au
début de 1945, la Flak fut incorporée obligatoirement à la S.S. Le changement
de costume ne modifia pas les mœurs. Notre Oberscharführer à Helmstedt (Bec-de-Lièvre,
comme nous l’appelions), riait fort à ce propos, disant que les S.S. voulaient
tout le monde S.S., mais que personne n’y tenait plus.
    Le contrôle des S.S. ne se limitait donc pas au camp. Il s’étendait
au travail. Les S.S. ont la responsabilité de l’organisation et de la
discipline du travail. Ils font des visites d’inspection sur les chantiers et
dans les usines. Leur fréquence dépend du caractère d’urgence imposé aux travaux
par Berlin. Mais, pour le travail comme pour les camps, les S.S. se
maintiennent dans les fonctions de direction et de surveillance. Ils remettent
aux bureaucrates détenus les plans et les directives et les chargent de l’entière
organisation pratique. Ces fonctionnaires sont responsables devant les S.S. et
peuvent être cassés, battus ou envoyés dans une Strafkompagnie s’ils n’ont pas
su réaliser les tâches imposées.
    Ce système libère les S.S. de la plupart des contraintes et
leur permet de s’occuper plus librement de leur propre bureaucratie et de leurs
affaires. Mais les raisons en sont plus profondes et plus lourdes de conséquences.
L’existence d’une aristocratie de détenus, jouissant de pouvoirs et

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