L'univers concentrationnaire
la nomination de
Poppenhauer que Yup redevînt Blockæltester. Poppenhauer n’avait ni prestige ni
valeur. C’était un médiocre en tout. Il ne sut jamais s’émanciper. Yup s’efforça
d’utiliser cette faiblesse pour étendre l’influence polonaise, et, dans une
large mesure, il parvint à circonvenir Poppenhauer. Les luttes ultérieures
opposèrent donc le groupe allemand qui se sentait menacé et qui, effectivement,
perdait du terrain, à la fraction polonaise de Yup. Ces querelles intestines
permirent aux Russes d’améliorer considérablement leur sort.
*
* *
L’intimité du camp est faite de cette bureaucratie
dirigeante, des passions qui la traversent, des intrigues pour le pouvoir, des
aventures de son personnel supérieur dans le réseau compliqué des combinaisons
S.S. Il en résulte corruptions et violences pour le commun des
concentrationnaires, exaspération des appétits et des haines, approfondissement
des dissensions nationales et personnelles, aggravation sinistre des conditions
de vie.
XI
LES DIEUX NE FONT PAS LEUR DEMEURE SUR LA TERRE
L’appareil S.S. est tout extérieur au camp. Les S.S. commandent
les routes qui mènent à l’univers concentrationnaire. Dans la trouée des sapins
se dressent le mirador et les mitrailleuses braquées. Le long des troncs, en
marge du chemin, se tressent les barbelés. Comme des bornes, des têtes de mort
sur deux tibias regardent. Un mouvement de manettes et le réseau invisible
électrisé étend la zone déserte de sa présence. Les chiens bien nourris hurlent
dans cette solitude. Une main levée sur un S.S., une injure dite par des lèvres,
l’homme est pendu. Le S.S. lève la main, un homme est fouetté, rampe, crie et
supplie. Le visage du plus grand des bureaucrates devient gris lorsque les yeux
du S.S. foncent de colère. Le S.S. parle et des milliers d’hommes, méthodiquement,
meurent des gaz. Achtung ! le S.S. passe, les corps s’immobilisent, le
silence se fait. Scheiss-stück ! dit le S.S., et il regarde des
dizaines de milliers d’êtres alignés sur une place et qu’il peut tuer
impunément. La paume de sa main est comme celle de Dieu. Et pourtant, le S.S. n’est
rien qu’une toute-puissance pour la vermine. Un fléau du destin, mais le destin
est la divinité souveraine des camps. Le destin de l’univers concentrationnaire
est inconcevablement lointain. D’immenses espaces de lois et de bureaux, de
couloirs sans suite, d’amoncellements de rapports, où tout un monde de
fonctionnaires pâles et affairés vit et meurt, machines à écrire humaines, isolent
le camp et n’en laissent connaître qu’une terreur puissante et confuse de lieux
inhumains. Au centre de cet empire, à jamais invisible, le cerveau qui unifie
et commande toutes les polices du Reich et de l’Europe domine d’une volonté
absolue tous les aspects possibles des camps, et qui se nomme Himmler et ses intimes.
Des murailles de casiers, des gratte-ciel de dossiers, les affaires les plus
infimes cataloguées dans les antichambres de Himmler. De ces bureaux, l’ordre
vient de la vie ou de la mort des concentrationnaires, une signature. Non en
fonction de leur comportement dans les camps ; de cela peuvent juger les
Obersturmbannführer. Mais en raison d’une vie morte, abandonnée souvent depuis
des mois ou des années et qui déjà semblait jugée. Pour des extensions
inconnues de cette vie morte qui poursuit une existence lointaine et menaçante
dans des bureaux inaccessibles. Le procès, ici, n’est jamais fini, jamais jugé.
Le procès se nourrit et se développe de personnages enfantés par lui-même sans
que jamais les raisons soient formulées. Un ordre vient. Une simple décision
sans commentaires. L’ordre porte la marque du maître. Le commandant du camp
ignore tout. L’Oberscharführer ignore tout. Le Blockführer ignore tout. Le
Lageræltester ignore tout. Les exécuteurs ignorent tout. Mais l’ordre indique
la mort et le genre de mort et la durée qu’il faut mettre à faire mourir. Et
dans ce désert d’ignorance, c’est suffisant.
*
* *
Les demeures et les bureaux des S.S. sont en dehors du camp.
Les S.S. gardent les portes et comptent les hommes. De hautes figures sur les
murs : l’homme sombre avec son chapeau à large bord, frôleur de murailles,
et immense le point d’interrogation. Silence ! Cette fantastique
silhouette qui se répète par toute l’Allemagne, de la plus lointaine ferme au
chevauchement dans le noir
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