Ma mère la terre - Mon père le ciel
loutre. Peut-être qu'à travers Samig, ce qui est bon chez les Petits Hommes se perpétuera, leur force, leur intrépidité, peut-être même le don de Shuganan pour découvrir les animaux cachés dans les os et l'ivoire... »
Chagak ne répondit pas mais la loutre poursuivit :
« Et tu en emmènes d'autres avec toi, des hommes qui n'ont pas de désir de vengeance. »
« C'est leur choix, pensa Chagak. S'ils ne tuent pas les Petits Hommes, eux-mêmes seront tués, comme mon peuple l'a été. »
« Est-ce pour cela que Kayugh vient avec toi ? N'a-t-il pas d'autres raisons? » demanda la loutre.
Mais Chagak enfonça sa pagaie plus profondément dans l'eau jusqu'à ce que l'effort étouffe la voix de la loutre et, quand ses épaules commencèrent à lui faire mal, Chagak fut heureuse de ressentir cette douleur. Ainsi elle pourrait penser à dormir au lieu de songer à vivre ou à mourir.
Ils passèrent la nuit sur une petite plage, un endroit où Chagak se souvenait s'être arrêtée l'été précédent avant d'avoir trouvé l'île de Shuganan. Et avec le souvenir revint le chagrin de ce qu'elle avait perdu, si tenace, si profond qu'elle en eut le souffle coupé. Elle n'écouta plus quand elle crut entendre les chuchotements de la voix de la loutre de mer et resta près des autres femmes en essayant de se joindre à leur conversation. Mais celles-ci parlaient des Chasseurs de Baleines et Chagak sentait la terreur dans leurs voix et, bien que personne n'y fît allusion, elle sentit que toutes pensaient devoir faire face à ce danger par sa faute.
Finalement, elle vint s'installer près du feu sur la plage et se mit à changer les enfants. En levant les yeux, elle vit Kayugh marcher vers elle. Il s'accroupit à ses côtés et remua le feu avec un long bâton de bois mort.
D'abord, il ne dit rien et se contenta de hocher la tête quand elle lui présenta son fils. Puis il déclara :
— Je ne sais pas si Shuganan te l'a dit, mais je lui ai parlé de mon désir d'avoir une épouse.
Chagak ne le regarda pas et, bien qu'elle ouvrît la bouche pour parler, les rapides battements de son cœur l'empêchèrent de proférer un seul mot.
— Si nous sommes encore en vie après cette aventure, poursuivit-il, je serais heureux que tu acceptes d'être ma femme. Shuganan m'a donné son consentement.
Il attendit un moment, se leva, et finalement Chagak répondit :
— Je sais que tu seras un bon mari pour n'importe quelle femme, mais je pleure encore la mort de mon mari.
— Les Chasseurs de Baleines vont vouloir t'épouser. N'en choisis pas un en dehors de moi.
— Je ne le ferai pas, répondit Chagak.
Alors Kayugh se leva et Chagak sentit un poids sur son cou. Elle regarda et vit qu'il avait glissé un collier en griffes d'ours au-dessus de sa tête, un cadeau prisé et rare, qui devait avoir nécessité beaucoup d'échanges entre tribus, jusqu'à l'est où l'on chassait les ours bruns. Elle souleva le collier et le tint entre ses mains. Chaque griffe jaune avait été polie et entre elles se trouvaient des coquillages. C'était un cadeau qu'une femme pouvait espérer recevoir après avoir donné de nombreux fils à son mari.
— Merci d'avoir sauvé mon fils.
Et pendant un instant il pressa son épaule de sa main avant de se lever et de s'éloigner vers la plage pour rejoindre les autres hommes.
Ils arrivèrent devant la baie des Chasseurs de Baleines le jour suivant. Comme sa mère la lui avait décrite, c'était une grande plage de sable avec, au centre, une large mare où même maintenant des canards s'ébattaient.
Il y avait des femmes sur la plage et des ikyan sur des râteliers près de la mare. Des enfants jouaient sur la plage. Des casiers de nourriture étaient rangés le long du rivage et l'on voyait de la viande suspendue pour la faire sécher. Chagak appela Nez Crochu :
— Ils ont déjà attrapé une baleine.
« J'aurais dû venir ici dès que mon village a été anéanti », pensa Chagak, et elle enfonça sa pagaie entre deux rochers pour faire tourner l'ik vers le rivage. Alors la loutre de mer murmura à son oreille : « Tu sais fort bien que tu ne le pouvais pas. Pup était mourant. De plus, si tu étais venue ici d'abord, Amgigh serait-il vivant? Aurais-tu eu Samig ? Et aurais-tu pu offrir ce que tu apportes aujourd'hui? La sagesse de Shuganan, la force de Kayugh, un petit-fils à ton grand-père ? »
Le plan de Shuganan ne marcherait peut-être pas, pensa Chagak, mais elle repoussa
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