Ma mère la terre - Mon père le ciel
parler, rendu soudain silencieux à la vue des mains ensanglantées du vieil homme.
— Un phoque? demanda Oiseau Gris.
Sans répondre, Shuganan les conduisit vers le rivage. Dès que Kayugh distingua le monticule à côté de l'ikyak, il ne pensa pas tout de suite que ce pût être un homme, puis il vit le parka et les bottes en peau de phoque et la tête tranchée, quelques pas plus loin.
— Est-ce toi qui as fait cela? demanda-t-il à Shuganan.
— C'est un Petit Homme, répondit celui-ci, un des barbares qui ont tué le mari de Chagak.
Bien que Shuganan s'exprimât avec de la haine et de la colère dans la voix, il y avait quelque chose dans ses paroles qui toucha l'esprit de Kayugh, quelque chose qui lui murmurait : « Ce vieil homme dit vrai et faux à la fois. Il a une raison pour tuer cet homme, mais peut-être pas celle qu'il donne. »
Shuganan s'accroupit sur ses talons près du corps et se mit à parler, mais le bruit des vagues sur les rochers couvrait ses paroles et Kayugh dut s'accroupir à son tour, aussitôt imité par Longues Dents et Oiseau Gris.
— Je vous ai dit que Chagak et moi allions conduire Samig chez les Chasseurs de Baleines. Nous connaissions le projet des Petits Hommes d'attaquer leur village. Ma femme faisait partie des Chasseurs de Baleines. Je ne peux laisser son peuple mourir.
« Il y a longtemps que nous avons pris cette décision, avant même la naissance du bébé de Chagak. Maintenant que Coquille Bleue peut s'occuper du fils de Kayugh, nous pouvons partir. Nous le ferons dès aujourd'hui. Cet homme que j'ai tué était un éclaireur. Les marques jaunes sur son ikyak parlent à ceux qui savent. Les autres, les guerriers, viendront bientôt. Pas sur cette plage. Ce n'est qu'une étape, un endroit où l'un des leurs est resté pour l'hiver.
« Nous ne vous demandons pas de nous accompagner. Vous n'avez aucune raison de tuer les Petits Hommes. Cette plage vous appartient désormais. Nous reviendrons peut-être. Ou peut-être pas. Si je suis tué et que Chagak ne l'est pas, un des Chasseurs de Baleines la prendra certainement pour femme et elle ne reviendra pas. Et si nous sommes tués tous les deux, nous irons rejoindre notre peuple dans les Lumières Dansantes. »
Kayugh surveillait le vieil homme tandis qu'il parlait. Si Chagak avait eu un mari, où était son ikyak ? Où étaient ses armes ? Shuganan ne possédait que ses propres armes et celles du Petit Homme tué l'été précédent. Mais pourquoi Shuganan mentirait-il?
Il attendit, espérant qu'Oiseau Gris dans son ignorance ou Longues Dents dans sa sagesse poserait une question. Mais ils ne dirent rien. Alors Kayugh réfléchit à la décision qu'il devait prendre. Devait-il partir avec Shuganan ou rester sur cette plage ?
A la mention du mari de Chagak, il avait senti son estomac se serrer. S'il partait, il pourrait peut-être empêcher Chagak d'épouser un Chasseur de Baleines. Mais s'il disait à Shuganan qu'il allait l'accompagner, Longues Dents viendrait aussi et alors qui s'occuperait des femmes ?
D'un autre côté, accompagner Shuganan chez les Chasseurs de Baleines, c'était s'engager à tuer des hommes. Comment un homme pouvait-il chasser d'autres hommes ?
« Je serais comme un enfant lors de sa première chasse, pensa-t-il. Je saurais peu de choses et gênerais les autres par mon ignorance. »
« Et que ressent un esprit en tuant un homme ? Deviendrais-je aussi mauvais que les Petits Hommes ? »
« Mais les hommes qui tuent d'autres hommes doivent être tués. Comment le mal pourrait-il être arrêté autrement? Les hommes qui tuent des hommes écouteraient-ils la voix de la raison ? Des mots pourraient-ils les arrêter? Devait-on leur proposer des échanges? Mais pourquoi accepteraient-ils des échanges alors qu'en tuant ils pouvaient tout avoir pour rien ? »
Kayugh regarda Shuganan. Le vieil homme était assis, tête baissée, ses mains maculées de sang entre ses genoux. Ses os, sous sa peau ridée, étaient fragiles et il vit que la mort était chose facile pour Shuganan, son esprit était déjà près de ceux qui l'appelaient dans les Lumières Dansantes. Ses jeunes années étaient loin et il était presque arrivé à la fin de ses vieilles années, celles où lame relâche ce qu'elle a attrapé, quand les fils qui retiennent en vie se sont brisés, un par un. Et maintenant il n'y avait plus que Chagak qui le retenait. Chagak, sans mari.
Et Kayugh la vit avec un mari Chasseur de
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