Ma mère la terre - Mon père le ciel
là, attendant que je meure. » Puis il entendit une voix dire : « Tu croyais pouvoir me détruire, vieil homme? » Et il y eut un ricanement.
Shuganan regarda Oiseau Gris, mais celui-ci ne parut pas entendre la voix ou voir l'esprit.
« J'ai rêvé, pensa Shuganan. Je suis en train de mourir. Je rêve. »
« Tu te croyais puissant, dit Homme-Qui-Tue. Ton cercle d'animaux te protège-t-il ? » Il frappa plusieurs sculptures mais les animaux en ivoire ne bougèrent pas.
« Ainsi Homme-Qui-Tue a encore du pouvoir, pensa Shuganan, mais pas suffisamment pour toucher mes animaux. Peut-il faire du mal à Chagak? A Samig? »
La douleur. Soudain elle submergea Shuganan, elle le serra étroitement, précipita ses pensées désordonnées.
« Je vous ai surveillés tout au long de ces mois, toi et Chagak, reprit Homme-Qui-Tue. Je sais que j'ai un fils. »
— Homme-Qui-Tue, ne fais pas de mal à Chagak, murmura Shuganan. Ne fais pas de mal au bébé. Samig fait partie de ton peuple; les Petits Hommes. Ne le tue pas.
Homme-Qui-Tue se mit à rire, puis son visage commença à s'effacer. La douleur de Shuganan cessa et celui qui se penchait sur lui n'était plus Homme-Qui-Tue, mais Oiseau Gris, et c'était lui qui riait.
— Ainsi tu parles aux esprits, vieil homme? ricana-t-il. Maintenant je sais tout. Chagak et toi avez menti. Et que ne me donnera pas Chagak pour sauver la vie de son fils ?
Combien d'hommes? se demanda Kayugh. Combien en restait-il encore? Qu'avait dit Shuganan? Vingt? Trente? Nombreuses Baleines et Roc Dur travaillaient en équipe, s'attaquant aux hommes dès qu'ils arrivaient. Caché à l'ombre des ulas, Kayugh était prêt à utiliser sa lance si un dos se présentait. De cette façon, ils tuèrent trois autres hommes et d'autres arrivaient encore. L'épuisement qu'il éprouvait était presque aussi fort que la douleur à son épaule.
Une forme sombre surgit de l'ombre et s'avança vers Kayugh qui leva son couteau mais l'homme cria :
— Je suis Ventre Rond, et Kayugh se souvint que c'était l'un des Chasseurs de Baleines, un petit homme gras qui riait souvent et portait toujours trois longs couteaux fixés à ses jambes.
Maintenant il tenait deux de ses couteaux, chacun dans une main, et son visage était couvert de sang et de poussière.
— Il ne vient plus personne du dernier ulaq, dit-il d'une voix lasse.
Kayugh le tira sur le côté et l'homme s'appuya contre le mur. Au cours de la bataille le soleil avait commencé à se lever, maintenant le ciel s'éclairait de teintes pourpres.
— Ils ont peut-être cessé de se battre parce que c'est le matin, risqua Ventre Rond.
— Ils ont peut-être cessé de se battre parce qu'ils sont morts, poursuivit Nombreuses Baleines.
— Non, dit Kayugh, les deux premiers qui sont venus sont entrés à l'intérieur de l'ulaq.
— Je les ai vus, confirma Nombreuses Baleines. Ils ne sont pas ressortis.
— Shuganan est mort, dit Kayugh, mais ces mots semblaient vides de sens et il ne ressentait rien sinon l'horreur de tuer, et de la colère contre la folie des hommes qui les poussait à se battre les uns contre les autres.
— Shuganan les a peut-être tués.
— C'est un vieil homme, murmura Kayugh, et il fut surpris du sanglot qui étranglait sa voix.
— Il est vieux mais son pouvoir est grand. Le pouvoir vaut mieux que la force.
Pendant un moment Kayugh tint sa tête contre le mur de l'ulaq. Il aurait souhaité fermer les yeux, mais il ne le fit pas. Qui savait ce qui pou-vait arriver dans la brève obscurité de ses yeux fermés? Le bruit de la bataille avait cessé et la tranquillité de son esprit n'était plus remplie de la pensée du prochain guerrier, du prochain combat. Son épaule se mit à lui faire mal, ses pulsations se répercutaient dans sa tête et jusqu'au côté de son corps. Mais il pensa à Shuganan. Le vieil homme était probablement mort et il songea au chagrin de Chagak.
Quel grand mal avait-elle fait pour mériter les peines qui lui avaient été infligées dans sa vie? Ce n'était pas une femme appartenant au peuple des Petits Hommes, qui accepterait un mari ayant tué d'autres hommes. Elle n'accepterait pas des colliers arrachés au cou de femmes assassinées pour les porter elle-même. Elle n'avait pas haï son peuple, elle n'avait pas mangé plus que sa part. Elle n'était pas paresseuse.
Kayugh regarda la blessure de son épaule et vit la croûte qui s'était formée. Le sang ne coulait plus. Il se
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