Ma mère la terre - Mon père le ciel
son berceau et le suspendit au-dessus de la couche de son père. Puis elle sortit de l'ulaq.
Durant toute la longue journée, elle resta assise devant l'ulaq, laissant à l'esprit de ses parents le temps de venir chercher son frère.
Elle demeura, immobile, regardant la mer, écoutant ses propres pensées. Pourquoi coudre si Pup devait mourir bientôt? Pourquoi ramasser des oursins? Pourquoi tisser?
Mais au milieu de l'après-midi, elle se rendit compte qu'une partie d'elle-même espérait que les esprits ne prendraient pas son frère et elle se demanda : comment puis-je souhaiter vivre ?
Un sentiment de culpabilité envahit l'âme de Chagak et elle dit à haute voix au vent et à tout esprit qui pouvait écouter :
— Je n'ai pas choisi ma vie ou ma mort. Ce sont mes parents qui ont fait ce choix. Si Pup meurt, je mourrai aussi. S'il vit...
Elle regarda les ruines de son village, sentit l'odeur de mort qui commençait à monter de chaque ulaq.
Il était impossible d'élever un enfant ici. C'était un village de mort. De plus les agresseurs connaissaient cette plage et pourraient revenir tuer les survivants. Il lui faudrait trouver une autre île, mais comment élever Pup sans un homme pour lui apprendre à chasser?
Il vaudrait mieux aller chez mon grand-père, pensa Chagak. C'était un homme important, chef des chasseurs d'une tribu des Premiers Hommes connue sous le nom de Chasseurs de Baleines. Elle n'était jamais allée au village des Chasseurs de Baleines, mais son grand-père était venu plu-sieurs fois leur rendre visite et il avait séjourné dans l'ulaq de son père.
Chagak avait toujours été très excitée par ces visites et s'était tenue avec fierté devant les filles de son âge. Les grands-pères des autres vivaient avec elles dans leur village, leurs grands-pères n'étaient que des chasseurs de phoques et non le grand chef de la fière tribu des Chasseurs de Baleines. Mais elle ne disait rien de cela aux autres filles. Bien que son grand-père apportât toujours des cadeaux à ses frères et leur racontât des histoires de chasse, il n'adressait pas le moindre regard à Chagak ou à sa jeune sœur, il ne leur portait aucun cadeau et ne leur racontait pas d'histoires.
« Ainsi, pensa encore Chagak, si je vais voir mon grand-père, il ne voudra peut-être pas de moi. Mais peut-être s'intéressera-t-il à mon frère et il vaudrait mieux pour Pup être avec les Chasseurs de Baleines, plutôt que de rester sur cette plage avec les esprits des morts et une sœur qui ne pourrait lui apprendre à chasser. »
Si Pup survivait peut-être que l'esprit de son père verrait l'importance pour lui de rejoindre les Chasseurs de Baleines et il guiderait Chagak au village de son grand-père.
Un cri de Pup interrompit les pensées de Chagak; elle se croisa les mains et resta immobile. Peut-être avait-il faim, mais il y avait une chance pour que les esprits soient venus le chercher et pour qu'ils lui aient fait peur. Lorsque ses cris cessèrent, Chagak eut envie de rentrer dans l'ulaq pour voir s'il était mort, mais elle se força à attendre encore.
La douleur qui pesait dans sa poitrine semblait s'ancrer encore davantage dans son esprit et un nouveau cri la rendit furieuse contre elle-même.
Pourquoi est-ce que je pleure? se demanda-t-elle. Il vaut mieux qu'il retourne auprès de notre mère et bientôt je ne serai plus seule mais entourée de tous ceux que j'aime.
Alors elle cessa de verser des larmes, mais elles semblèrent se rassembler au fond de sa gorge et rester là tremblantes comme des gouttes d'eau au bord d'une feuille d'arbre.
Finalement, quand le soleil eut atteint son zénith, elle entra à l'intérieur de l'ulaq et regarda dans tous les coins sombres, mais ne vit aucun esprit. Elle avait laissé le trou du toit ouvert pour permettre à la lumière d'entrer et n'eut pas à allumer les lampes. Elle traversa l'ulaq sur la pointe des pieds comme si sa famille dormait.
Elle tira le rideau et l'air fétide la fit reculer. Puis elle avança pour décrocher le berceau, mais quand elle le baissa Pup se mit à crier.
Elle fut si surprise qu'elle faillit le laisser tomber et, dans ce moment de déséquilibre, les larmes qu'elle avait retenues si longtemps commencèrent à couler. Pour la première fois depuis la tragédie qui avait anéanti son village, elle trouvait une raison de vivre.
Il fallut trois jours à Chagak pour réparer un ik que les agresseurs avaient brisé. La coque n'était
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