Ma mère la terre - Mon père le ciel
pas endommagée, mais la peau du lion de mer était tailladée en de nombreux endroits.
Chagak se servit des peaux recouvrant un autre ik et même de l'intérieur d'un ikyak pour réparer l'embarcation. Elle enduisit ses doubles coutures de graisse afin de les rendre imperméables.
Elle avait trouvé un des porte-bébés que sa mère attachait sous son suk et s'en servit pour transporter Pup pendant qu'elle travaillait. Une large bande de cuir passait au-dessus de son épaule et s'accrochait dans son dos. Elle élargit l'encolure de son suk pour que l'enfant ait suffi-samment de place. Le bébé reposait contre sa poitrine et son dos était soutenu par une autre attache en cuir.
Lorsque l'ik fut réparé, Chagak le remplit de provisions. Des estomacs de phoque contenaient de l'huile et de l'eau potable; des paniers furent remplis de viande séchée et de racines. Elle emporta également deux petites lampes de chasseurs, des mèches en mousse, des petits tapis, des poinçons et des aiguilles.
Elle emballa deux pagaies supplémentaires, des couteaux et la pierre plate à cuire de sa mère, un racloir et des paquets de fourrures et de tapis d'herbe. Elle emporta aussi le berceau de Pup, bien que pour voyager elle ait l'intention de le porter sous son suk.
Elle porterait le chigadax de son père, un parka imperméable à capuchon fait d'intestin de phoque. Le vêtement serait une bonne protection contre la mer.
Mais, tandis qu'elle travaillait, des doutes assaillirent l'esprit de Chagak. Peut-être était-ce mal d'emmener Pup de son île. Elle connaissait peu la mer et n'avait qu'une faible pratique du maniement d'une pagaie, même le petit ik qu'elle avait choisi de réparer serait difficile à contrôler. Et qu'arriverait-il si elle ne trouvait pas le village de son grand-père? Ne risquait-elle pas de se noyer avec Pup ? Si cela arrivait, trouveraient-ils leur chemin vers les Lumières Dansantes ?
— Nous manquons peut-être à notre mère, dit-elle à Pup. Peut-être devrais-je donner aux esprits une autre chance de te réclamer?
Chagak ramena son frère dans l'ulaq. A l'intérieur, il faisait sombre mais elle n'alluma pas la lampe à huile. Elle traversa lentement la grande pièce de l'ulaq et posa le bébé devant le rideau de la chambre de son père. Elle mit ses mains sur le ventre de son frère et commença à parler, ses mots faisaient étrangement écho dans cette pièce vide.
— Père, voici ton fils. Je peux l'emmener avec moi au village des Chasseurs de Baleines. Je l'élè-verai pour qu'il devienne un brave garçon. Je l'aiderai à construire un ikyak et lui parlerai de notre village, mais si tu penses qu'il vaut mieux pour lui retourner dans le monde des esprits, je te demande de le prendre maintenant.
Son frère était resté immobile pendant qu'elle parlait, mais quand elle se leva en le laissant sur le sol, il se mit à pleurer. Elle ne le ramassa pas et ne se retourna pas en grimpant pour sortir.
Elle resta sur le toit de l'ulaq, accroupie, chassant toute espérance de son cœur. Pourquoi influencer les esprits avec son espoir? Elle tenta de se concentrer sur des choses simples comme la couleur de la mer et le nombre de nids d'oiseaux dans la falaise. Elle s'efforça de ne pas entendre les cris de son frère.
Chagak ne sut pas quand elle s'était endormie mais elle s'éveilla au milieu de l'après-midi. Pup continuait à pleurer. Elle descendit dans l'ulaq. Cette fois elle n'essaya pas de voir les esprits dans l'obscurité, mais elle se hâta vers Pup, le saisit et le serra contre elle en le berçant jusqu'à ce qu'il eût cessé de pleurer. Puis elle le glissa sous son suk et ajusta les attaches autour de son petit corps.
Alors Chagak se mit à chanter. Un hymne d'action de grâces, de remerciements, et elle fut surprise de sentir sa voix affaiblie par ses larmes. Avant de quitter l'ulaq, elle murmura :
— Maintenant nous partons. Protégez-nous, protégez-nous !
5
Comme le rythme des vagues, la pagaie était devenue une partie d'elle-même. Chagak avait eu de la chance, la mer était restée calme.
En se retournant vers son village, elle vit que de nouvelles pousses vertes commençaient déjà à cicatriser les blessures faites par le feu et elle comprit ainsi qu'en dépit du massacre, les esprits des plantes reprenaient rapidement vie, fortes et drues, autour de chaque ulaq; peut-être que son peuple, en les surveillant depuis les Lumières Dansantes, reconnaîtrait également
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