Ma soeur la lune
le commerçant, puis sur sa femme, elle les vit qui fixaient la statuette du regard, ébahis.
— Où l'as-tu eue? s'enquit l'homme.
— Je l'ai faite.
Cette fois, l'homme partit d'un grand rire sonore.
— Les femmes ne sculptent pas, s'esclaffa-t-il.
Mais Kiin retint sa colère et haussa les épaules.
Qu'il croie ce qu'il veut. Elle connaissait la vérité.
— C'est à moi, pour que je puisse l'échanger.
Il plongea ses yeux dans ceux de Kiin, se tut longuement, puis chuchota à l'oreille de son épouse qui se leva, alla jusqu'à leur ik d'où elle extirpa deux estomacs de poisson.
— Deux, dit le marchand.
Le cœur de Kiin cogna violemment dans sa poitrine. Deux ventres de phoque de poisson contre une statuette sans valeur. Pourtant, quelque chose en elle la fit secouer la tête en signe de refus, la fit remettre la figurine dans son panier. Peut-être parce que le commerçant ne croyait pas que c'était elle qui l'avait sculptée. Après tout, ils n'étaient pas les seuls à proposer du poisson.
— Trois, dit l'homme.
Son panier serré sous son bras, Kiin fit le tour de l'homme et ouvrit un des récipients. Elle en sortit un morceau de poisson qu'elle mordit. Il était ferme et sec, de saveur agréable, sans le moindre arrière-goût de moisi.
— Trois, accepta Kiin.
Elle tendit le morse au commerçant qui aida sa femme à sortir les estomacs de phoque de l'ik.
— Acceptes-tu de me les garder? demanda Kiin. Je ne peux en porter qu'un à la fois.
— Ils seront en sécurité, assura le marchand. Samig se trouva soudain à côté de Kiin, les mains
sur les siennes. Il hissa deux estomacs de phoque, un sur chaque épaule.
— J'ai tout vu.
Kiin leva les yeux sur lui, lut l'approbation dans ses yeux.
— Laisse l'autre. Je reviendrai le chercher. Kiin l'accompagna aux ulas, baissa la tête
lorsqu'ils dépassèrent les femmes, lorsque Samig héla Coquille Bleue :
— Ta fille est une bonne commerçante. Oiseau Gris, le visage tiré, clignant les yeux, grogna :
— Alors, ce soir elle ramènera des commerçants dans l'ulaq de son mari. Il y a de la place dans sa chambre ?
D'une voix posée, Samig demanda à Kiin :
— As-tu d'autres statuettes?
— Beaucoup. Mais elles ne sont pas bonnes.
— Tu ne vois pas ce que les autres voient. Il y a un esprit en chaque figurine, quelque chose de plus que ce qui est sculpté. Retourne. Fais encore du troc. Nous n'avons pas pu chasser beaucoup cet été. Tu dois compenser et être notre chasseur.
68
L'homme était grand, sa peau était foncée. Ses cheveux, retenus en arrière par un ornement d'ivoire, étaient comme ceux d'une femme — noirs, raides, lui arrivant à la taille. Une couverture noire de plumes de macareux était jetée sur ses épaules et, comme il marchait, la couverture ondulait, allongeant encore sa foulée, obligeant les autres à s'effa-cer sur son chemin. L'homme s'arrêta devant l'ik d'un commerçant et Amgigh s'approcha. Oui, pas de doute. C'était le Corbeau.
Sa peau n'était pas aussi sombre qu'il paraissait. Des bandes de tatouages en travers de ses joues noircissaient son visage et on aurait dit qu'il avait enduit ses paupières de suie.
Un tremblement ébranla le ventre d'Amgigh, engourdit ses mains et ralentit ses pieds et ses jambes, rendant sa démarche malaisée.
Le Corbeau s'arrêta soudain et Amgigh entendit les mots de l'homme, les sons à la fois ronds et cliquetants de la langue Morse. Le Corbeau prit quelque chose sur une peau de phoque ocre d'un marchand. Le marchand plongea et agrippa ses mains. Amgigh vit que le Corbeau tenait le morse en bois flotté que Kiin avait échangé contre trois estomacs de phoque de poisson. Le Corbeau lâcha la figurine, recula en souriant, paumes ouvertes. Il posa une question, toujours en langue Morse, à laquelle le commerçant répondit, serrant la statuette contre sa poitrine.
Amgigh avait été époustouflé de ce qu'avait reçu Kiin en échange de sa sculpture. Après ce premier troc, Samig était venu le trouver et tous deux avaient accompagné la jeune femme pour l'aider à troquer d'autres sculptures contre de l'huile, du poisson, des fourrures et des peaux de phoque.
Il avait constaté avec fierté que les figurines de sa femme valaient beaucoup aux yeux des autres et s'était étonné que les commerçants y voient au-delà des lignes régulières d'un couteau sur du bois, du pouvoir. Chacun connaissait le pouvoir des statuettes de Shuganan, mais
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