Ma soeur la lune
l'entendit qu'en voyant le son sur les lèvres
de Samig.
— Femme.
15
Kiin ne suivit pas les autres sur la plage. Peut-être l'aurait-elle pu. Il ne s'agissait pas du départ d'une chasse. Amgigh ne s'en voudrait pas s'il la touchait ou laissait ses yeux s'attarder trop longtemps, ses pensées errer vers les nuits passées avec sa femme. Et Samig... Non, il n'était pas son mari. Il ne pouvait être maudit par sa présence. Mais Kiin jugeait préférable de rester à l'intérieur de l'ulaq. Elle taillerait des dessus de bottes dans un œsophage de lion de mer, indiquant ainsi aux esprits qu'elle comptait sur un prompt retour de son mari et du père de son mari. Mais, cependant qu'elle travaillait, elle sentit l'impatience la gagner, jusqu'à ne plus pouvoir tenir en place.
Elle roula son ouvrage, fit les cent pas dans l'ulaq et s'arrêta au pied du tronc à encoches.
Non, songea-t-elle, je n'ai pas besoin de sortir. Je n'ai pas besoin de voir Samig une dernière fois. Mais ses pieds étaient déjà sur le rondin. Bientôt, elle se retrouva au sommet de l'ulaq, comme si son corps se déplaçait sans le consentement de son esprit. Elle regarda vers la plage. Les trois ikyan étaient partis, celui de Samig, celui d'Amgigh et celui de Kayugh. Celui de Longues Dents avait disparu lui aussi, mais Kiin savait qu'il ne voyagerait avec eux que ce jour-là.
Kiin s'apprêtait à rentrer dans l'ulaq, quand elle pensa à la chambre de Samig. Il faudrait la nettoyer à fond, secouer et aérer les peaux, et répandre de la bruyère fraîche sur le sol. Peut-être valait-il mieux s'en charger tout de suite. Mais elle devrait pour cela grimper les collines à la recherche de bruyère. Oui, décida-t-elle en descendant prendre son couteau de femme qu'elle glissa dans son suk.
Elle quitta l'ulaq, puis grimpa prestement à travers un ravin peu profond protégé du vent. De là, elle se rendit en haut des falaises en retrait de la plage. Les ikyan se dirigeraient vers le sud puis l'ouest autour de l'île Tugix, puis vers l'île voisine où les hommes chassaient les loutres de mer, avant de franchir l'étendue d'eau qui sépare cette île du pays des Chasseurs de Baleines. Kiin se protégea les yeux et observa la mer. Elle les vit enfin, pas aussi loin qu'elle l'aurait pensé. L'ikyak de Samig était en tête, suivi de celui de Kayugh, puis de Longues Dents, celui d'Amgigh fermant la marche. Kiin appréciait les coups rapides et sûrs de Samig et son dos bien droit. En comparaison, Amgigh pagayait comme un gamin inexpérimenté.
Oui, se dit Kiin, Kayugh avait fait le bon choix. C'est bien Samig qui doit se rendre chez les Chasseurs de Baleines. C'est lui qui devrait chasser la baleine. L'homme, c'est lui.
Qakan avait observé les quatre hommes quitter la plage. Amgigh riait et plaisantait, tandis que Samig était sérieux et parlait peu. Samig s'était penché pour ramasser des coquillages — promesse qu'il reviendrait au village. Puis il avait balayé l'ulakidaq du regard. Qakan savait qu'il cherchait Kiin. Pourquoi il la voulait, Qakan n'avait jamais réussi à le comprendre, mais Samig la voulait bel et bien, et depuis toujours. Enfant, déjà, Samig se vantait et riait fort dès que Kiin était dans le coin. Et au cours de cette année, chaque fois que Samig venait dans leur ulaq, il la regardait, ses yeux s'arrêtant sur les petits seins aux pointes roses, sur ses jambes qui s'allongeaient.
Ah, Qakan comprenait cette part du désir de Samig. N'éprouvait-il pas la même chose lorsqu'il voyait les femmes d'autres tribus ? En de rares occasions, les Chasseurs de Baleines amenaient leurs épouses avec eux lorsqu'ils venaient faire du troc. Alors, une de ces femmes pouvait venir pour une nuit dans leur ulaq, dans le lit de son père, et Qakan écoutait les grognements et les rires, et il haïssait son père de garder la femme pour lui seul.
Une fois, Qakan quitta subrepticement sa couche et s'installa juste derrière le rideau de celle de son père. Là, tandis qu'il observait son père déshabiller la femme, ce qui était un homme en Qakan devint long et dur. Qakan se demanda si c'était d'Oiseau Gris que Kiin tenait son avidité. Sûrement d'autres hommes partageaient leurs femmes avec leurs fils.
Donc, Qakan comprenait le désir de Samig et, si Qakan trouvait Kiin trop maigre et trop calme, pour quelque étrange raison, Samig la voulait pour femme. Qakan sourit. Samig, le garçon qui avait toujours lancé mieux et plus
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