Ma soeur la lune
Kiin commence à lisser les nattes et les fourrures afin de lui arranger un lit confortable. Mais une fois encore il referma les mains sur les siennes.
— Allonge-toi.
Le souffle de Samig était chaud sur le cou de Kiin. Elle s'étendit sur les couvertures.
« Amgigh le veut », dit son esprit.
Kiin chassa le malaise tapi en elle et entreprit de dénouer le lien qui retenait son tablier.
Mais Samig dit :
— Non. Nous ne pouvons pas.
Il la retourna et mit ses bras autour d'elle, allongé, son torse contre le dos de Kiin.
— Amgigh, Amgigh le veut, murmura Kiin.
— Non, repartit Samig. Amgigh veut apprendre à chasser la baleine. C'est tout.
Kiin s'obligea à rester allongée sans bouger, essayant de penser à autre chose qu'à Samig, tout contre elle, tout chaud. Elle pensa aux oiseaux : les mouettes à pattes rouges, les pétrels et les goélands, elle s'imagina aspirée vers le ciel par leurs ailes, planant au-dessus de l'île Tugix, regardant au bas l'ula-kidaq. Elle pensa aux baleines — la mégaptère à longs battoirs, le rorqual, plus petit —, elle s'ima-gina nageant avec elles sous la mer jusqu'à leur village.
Et enfin, la chaleur de la peau de Samig contre la sienne, la douceur de ses bras autour d'elle et le rythme de sa respiration l'attirèrent dans des rêves.
Son père hurlait après elle. Quelque chose qu'elle avait fait ou n'avait pas fait. Il levait sa canne et l'abattait de toutes ses forces sur son visage, sur ses épaules. D'autres regardaient son père la frapper, encore et encore. Elle ne serait jamais une femme, hurlait-il, jamais une épouse, jamais une mère. Elle n'était rien. Elle n'avait pas d'âme, elle ne valait rien.
Kiin se roula en boule, protégeant du bâton ses yeux et ses oreilles. « Tu es Kiin, lui dit son esprit. Kiin. Tu as une âme. Il ne peut te l'enlever. Même avec sa canne. Même avec ses coups. Tu es Kiin. Kiin. Kiin. »
Mais les coups ne cessaient pas. Enfin des mains se tendirent et l'arrachèrent à son père, à la douleur. On murmura son nom.
— Kiin, tu es en sécurité. Tu es là, avec moi. Je ne permettrai à personne de te faire du mal. Kiin, Kiin.
C'était Samig. Kiin tendit les bras vers lui et l'attira contre elle.
— Samig, mon époux, souffla-t-elle. Samig.
Elle caressa la peau lisse et tendre de sa poitrine,
la douceur obscure de ses cheveux, et sentit ses mains sur son dos, cherchant à l'agripper, tandis qu'elle refermait ses jambes sur lui. Elle sentit ce qui était homme grandir et se raidir contre elle. Elle ne pouvait s'empêcher de le toucher...
— Je t'en prie, murmura-t-elle, je t'en prie, je veux être ta femme.
Kiin s'éveilla de bonne heure. Samig dormait, une jambe en travers des siennes, sa main sur ses mains. Elle se libéra avec précaution, s'assit sur son séant et lissa son tablier. Elle s'autorisa à regarder un moment Samig, la couleur lisse et sombre de sa peau, la noirceur de ses cheveux.
« C'était un rêve », lui dit son esprit.
Oui, c'était un rêve, pensa Kiin. Elle vit alors ses bras et ses jambes dénués de toute trace. Son père ne l'avait pas battue. Ç'avait été un rêve.
Elle se rendit dans la pièce principale de l'ulaq, prépara la nourriture et remplit plusieurs conteneurs de poisson séché pour Samig, Amgigh et Kayugh. Ils les emporteraient avec eux.
Une fois le repas prêt, Kiin prit le parka d'Amgigh et s'installa sur une natte près de son panier à couture. Le vêtement était déchiré sous un bras et elle voulait le repriser avant le départ de son mari. Elle tenait à ce que les femmes Chasseurs de Baleines sachent qu'elle était une bonne épouse.
«Une bonne épouse... après Samig?» sembla murmurer quelque esprit.
« C'était un rêve », répondit l'esprit de Kiin. Et les mots s'infiltrèrent en elle tandis qu'elle perforait chaque côté de la déchirure à l'aide d'un poinçon. Après quoi, elle choisit un morceau de peau de phoque pour coudre une pièce. Elle nouait un fil de nerf tordu au bout de son aiguille quand elle vit s'ouvrir la porte de la chambre de Samig.
Elle leva les yeux. Samig était debout et la regardait. Elle sourit et, ce faisant, leurs regards se croisèrent et s'accrochèrent. Soudain, elle eut l'impression d'être de nouveau dans ses bras et elle se rappela son corps puissant frémissant contre le sien, la chaleur de Samig en elle. Elle sut qu'elle n'avait pas rêvé.
— Femme, dit Samig, avec une douceur infinie.
Kiin ne
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