Ma soeur la lune
sa place au village des Chasseurs de Baleines.
Samig porta son ikyak jusqu'à l'eau et grimpa dedans, étendant ses jambes devant lui. Il installa la jupe autour de sa poitrine et la ficela sur son épaule grâce à la corde tressée par Épouse Dodue. Il fixa ses harpons sur le dessus de l'ikyak et pagaya en direction de l'océan.
Une fois éloigné des turbulences du rivage, il brossa aisément la surface de l'eau, fouettant la mer au sommet de chaque renflement de la houle. Pendant un long moment, il ne vit rien et se demanda s'il n'avait pas mis trop longtemps à s'habiller et à lancer son embarcation. Puis il remarqua le cercle croissant des bulles, l'écume juste sous la surface, et il immobilisa son ikyak en plaçant sa pagaie presque à la verticale, prêt à tourner ou à foncer en avant. Soudain, l'eau s'assombrit. La baleine brisait la surface.
C'était bien une mégaptère ; ses nageoires bordées de blanc se détachaient, pâles contre la surface de l'eau. Elle s'approcha lentement, se tournant en se soulevant, dévoilant la crête de son dos. L'eau gronda et le bruit fut immense, cognant aux oreilles de Samig. Samig fit avancer son ikyak et arma son bras, prêt à lancer son premier harpon.
Mais la taille impressionnante de l'animal et le bouillonnement de l'eau ébranlèrent la confiance de Samig en son habileté. La baleine était une montagne et, brusquement, Samig se retrouva petit garçon, prenant conscience que son ikyak était minuscule en regard de la mer, et frêle en regard de la baleine. Il serra la main sur son propulseur mais se montra incapable de bouger le bras, incapable de lancer le harpon.
Alors, la baleine se trouva de nouveau en eau profonde.
Samig trembla de dépit. Tu es un gamin, se dit-il.
Rien qu'un gamin apeuré. Peut-être que ton grand-père a raison. Tu ferais mieux de retourner chez les Traqueurs de Phoques pour tisser des paniers. Mais il se rappela alors autre chose que lui avait dit son grand-père : bien des hommes échouent la première fois. Même Roc Dur avait fait demi-tour et fui sa première baleine.
Alors Samig repoussa la peur qui s'était installée dans son ventre comme une pierre et s'arma de nouveau. Il se parla, sans colère, mais comme s'il encourageait un autre chasseur avec gentillesse.
— La baleine va peut-être revenir. Tu es fort. Tiens-toi prêt. Tiens-toi prêt.
Il rama en direction de l'horizon nord, se repérant grâce à la brume jaune du soleil et à la ligne grise du rivage. Une fois encore, l'eau s'assombrit. Une fois encore, la mer vira au vert tandis que la baleine montait à la surface. Mais cette fois, Samig s'approcha, prenant le risque que la baleine retourne son ikyak d'une chiquenaude.
Samig leva son harpon tout en maintenant son ikyak avec sa pagaie et raidit ses doigts sur le propulseur au moment où l'animal creva la surface. Un moment, les yeux de Samig se posèrent sur son ikyak, sur l'eau qui surgissait avec la baleine et engloutissait la proue. Comme la déferlante dans une tempête, l'eau refoulait l'ikyak, qui plongea tel un lion de mer. La mer recouvrait la proue, recouvrait les liens qui maintenaient les autres lances. Samig rejeta sa pagaie en arrière, la poussant dans l'écume blanche. L'avant de l'ikyak se redressa enfin.
Puis la baleine vira, exposant un flanc blanc ; alors Samig oublia son ikyak, oublia toute chose hormis la baleine. Il assura sa prise sur son propulseur, s'adossa à la poupe de son bateau et visa, ainsi que Nombreuses Baleines le lui avait appris, de façon que le harpon aille frapper sous la nageoire.
Ce ne fut pas un beau lancer. Le harpon tourbil-lonna, puis chancela; pourtant, un esprit sembla le porter jusqu'à la baleine et Samig crut entendre l'animal gémir au moment où l'arme se ficha dans son corps. La lourde couche blanche sous la peau noire se referma autour de la hampe et, quand la baleine plongea, un épais flot de rouge s'échappa de la blessure, laissant une tache d'huile et de sang à la surface de l'eau.
Samig lutta pour empêcher son ikyak de chavirer dans l'écume causée par le plongeon. Il libéra un flotteur en peau de phoque de ses liens, vérifia que la pierre de lest était fermement attachée au flotteur, puis le balança à l'eau à l'endroit où il avait vu la baleine plonger. Après quoi il fit volte-face à toute allure, poussant son ikyak vers le rivage à longs coups de pagaie énergiques, propulsé par les vagues. Les chasseurs étaient debout sur la
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