Madame Catherine
tout bouclés, fort noirs encore, ses grands yeux bien dessinés, lui donnaient l’air éminent d’un Alcibiade {69} des Temps modernes.
Son âme, hélas, n’était pas si élevée.
Envoyé par les conjurés en reconnaissance à Amboise, il ne s’en tint nullement à la vue d’ensemble du château, des ouvrages renforcés et des positions de défense... Né homme de cour, lié depuis toujours à Louis de Condé, il accéda sans peine au saint des saints, pourtant impénétrable, et se fit annoncer au prince en dépit de l’heure tardive. Celui-ci se releva pour le recevoir, lui posa quelques questions sur la conjuration, et n’eut aucun mal à le convaincre d’abandonner un complot voué à l’échec, pour ne pas dire au ridicule.
— Filez à l’instant chez la reine mère, lui conseilla le prince ; évidemment, vous ne m’avez pas vu.
Catherine le reçut sans délai, intriguée de ce qu’il avait à dire.
— Madame, lança-t-il sans détour, l’amitié que je porte au prince de Condé et, au-delà, le grand respect que je voue au roi, mon maître, ainsi qu’à Votre Majesté, m’ont convaincu de vous livrer les dispositions militaires de La Renaudie.
Il révéla d’abord que l’attaque décisive, initialement fixée le 10 mars, avait été repoussée d’une semaine pour prendre en compte le déplacement de la Cour à Amboise, et la défection ouverte du prince de Condé.
— Mais que croyaient ces gens ? demanda Catherine en haussant les épaules.
Puis, sans se faire prier davantage, Ferrière déplia aux pieds de la reine mère une carte des environs, où figuraient, en rouge, les points d’appui de l’assaillant, ses relais, ses circuits de ravitaillement... Il alla jusqu’à révéler le refuge des conjurés : un certain château de Noizay !
— Mon ami, décida finalement la reine mère, un peu dépassée par tant de précision, je crois que vous devriez ramasser tout cela et me suivre chez le duc de Guise.
Ainsi firent-ils une incursion presque nocturne dans le cabinet du Balafré qu’ils trouvèrent, contre toute attente, en grande conférence avec le connétable.
— Nous sommes tout ouïe, cher ami.
Les deux stratèges écoutèrent de concert les explications de Ferrières ; puis, alliant leurs expertises, ils demandèrent toutes les précisions utiles, notamment à propos de Noizay ; de sorte qu’avant minuit, plus rien ne leur échappait du dispositif adverse.
— Pas une heure, tu m’entends ? Pas une minute de plus !
— Vous me laisseriez mourir, seule, au milieu des soudards ?
— Quels soudards ? Je ne vois ici que de hardis gentilshommes ! En tout cas, ce n’est pas en restant que je sauverai ta petite vie !
Furieux, Simon enfourcha leur unique cheval. Il avait bien l’intention de quitter Noizay au plus vite. Françoise, s’agrippant à la bride, l’empêcha de manoeuvrer.
— Allons, lâche cette monture, ne fais pas l’enfant !
— Vous n’avez pas le droit de m’abandonner ainsi.
— N’inverse pas les rôles ! C’est toi qui m’abandonnes. Quant à moi, je t’ai accompagnée dans l’unique but de convaincre ce fou de renoncer à ses plans ! Sûrement pas dans celui d’y prendre part !
Françoise comprit qu’elle n’obtiendrait plus rien par la force ; alors elle changea de tactique. Lâchant la bride, elle se laissa tomber comme un sac, et se mit à pleurer, prostrée. Simon remit pied-à-terre : jamais il n’avait pu résister aux larmes de sa nièce.
— Encore une fois, dit-il d’un ton radouci, viens avec moi ! Tu n’as plus rien à faire ici, mon petit. Nous avons vu ton La Forest ; nous lui avons parlé ; il ne nous a pas écoutés ; nous ne pouvons plus rien pour lui.
— Mais ces gens...
— Parce qu’ils ont fait le choix de la mort, faut-il que nous mourions aussi ?
— La cause en vaut la peine !
Cette fois, Simon changea de ton. Plaquant sa nièce contre un arbuste, il approcha son visage tout près du sien ; il éructait.
— Je n’ai pas pour habitude de me laisser piéger. Si ton but était, en m’attirant ici, de m’amener à trahir la couronne contre mon gré, considère que tu as échoué.
De colère, il la jeta au sol. Puis il se remit en selle, fît faire un tour complet à sa monture et se dirigea vers la colline. Il n’avait pas plutôt quitté le château que la voix de Françoise l’appelait.
— Attendez ! implorait-elle. Attendez-moi !
Simon arrêta
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