Madame de Montespan
prêtre dans la chambre ardente, Nicolas de La Reynie va s’enfoncer un peu plus dans l’abominable. Mais penchons-nous dès maintenant sur les notes qu’il a laissées autour des interrogatoires de cette soutane de cauchemar.
« La première messe fut célébrée dans la chapelle du château de Villebousin, près de Montlhéry... la femme sur le corps de laquelle Guibourg officia conserva toujours ses coiffes baissées. Elles lui couvraient le visage et la moitié du sein... l’enfant sacrifié ce jour-là avait été acheté pour un écu. Au moment de le piquer à la gorge avec un canif, l’officiant a lu cette conjuration : « Astaroth, Asmodée, princes de l’amitié, je vous conjure d’accepter le sacrifice que je vous présente de cet enfant pour les choses que je vous demande, qui sont que l’amitié du Roi, de Mgr le Dauphin, me soit continuée et être honorée des princes et princesses de la cour, que rien ne me soit dénié de tout ce que je demanderai au Roi, tant pour mes parents que pour mes serviteurs. »
« Il dit la deuxième messe dans une masure sur les remparts de Saint-Denis, sur la même femme, avec les mêmes cérémonies. Il dit la troisième à Paris chez la Voisin, sur la même femme. Avec un nouveau sacrifice d’enfant. Il déclare encore qu’il y a cinq ans il a dit une autre messe chez la Voisin, sur la même personne, une femme qu’il ne connaît point et qu’on lui a toujours dit être Mme de Montespan. »
La Reynie avait devant lui un homme au visage vultueux et couperosé, un homme qui louchait horriblement, ce qui lui faisait un regard obscène ; un vieil homme qui avouait calmement toutes ces horreurs, sans aucun frémissement.
La Reynie est assommé. Ainsi donc, la resplendissante reine de Versailles était noire ! Les philtres d’amour, les onguents miton-mitaines, les poudres de Perlimpinpin, passe encore ! Mais avec la nudité d’Athénaïs livrée aux canailles lubriques et tachée du sang d’enfants innocents, l’affaire prend un tour effrayant.
Et Guibourg n’a pas fini ! Il se souvient encore d’une « messe à rebours » lors de laquelle la Dame avait lu « un pacte ». Mieux, il se souvient même du texte exact de ce pacte : «Je demande l’amitié du Roy et celle de Mgr le Dauphin et qu’elle me soit continuée ; que la Reine soit stérile, que le Roy quitte son lit et sa table pour moi, que j’obtienne de lui tout ce que je lui demanderai pour moi et mes parents, que mes serviteurs et domestiques lui soient agréables ; chérie et respectée des grands seigneurs, que je puisse être appelée aux conseils du Roy et savoir ce qui s’y passe ; et que, cette amitié redoublant plus que par le passé, le Roy quitte et ne regarde La Vallière, et que, la Reine étant répudiée, je puisse épouser le Roy. »
Il est à noter, déjà, avant que d’analyser ses déclarations, que l’apostat dispose d’une mémoire étrangement sélective. Il est incapable, en effet, de donner la moindre précision de date en ce qui concerne les messes noires, mais en revanche, il ne fait aucun effort pour réciter sur le bout des doigts les dix lignes d’un texte entendu une seule fois... cinq ou six ans plus tôt ! Il est à noter aussi qu’il ne cite jamais le nom de la favorite et qu’on lui a simplement laissé entendre que le ventre sur lequel il célébrait était celui de la marquise de Montespan.
Un autre accusé comparaît maintenant devant La Reynie. C’est une femme, elle se nomme Françoise Filhastre et c’est sur le conseil de Lesage qu’on s’est emparé d’elle :
— La Filhastre en sait beaucoup ! Elle connaît bien Mme de Vivonne ! avait-il confié à Louvois.
Mais la Filhastre se taira. Harcelée par les policiers, épuisée, elle ne saura que soupirer :
Mettez, si vous voulez, que j’ai empoisonné la moitié de Paris. Pendez-moi si vous le voulez, cela vaudra mieux que de me faire languir comme vous le faites. Je n’ai jamais vu ni entendu parler de poisons ni rien de tout ce que l’on me demande.
Evidemment, elle mentait. Il était notoire qu’elle avait infusé les mixtures les plus sombres. On savait même qu’elle utilisait de la graisse de pendus que lui fournissait le dénommé André Guillaume, bourreau de la capitale de son état. Il était notoire aussi qu’elle s’était fréquemment offerte au prince des ténèbres lors des messes orgiaques que célébrait l’abbé Coton son amant et
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