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Madame de Montespan

Madame de Montespan

Titel: Madame de Montespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Decker
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qui leur donne du temps ». Ainsi on comprend mieux pourquoi les prisonniers étalent leurs révélations sur des mois, voire des années. Leur réticence est mesurée. Ils prolongent l’instruction, ils prolongent le sursis.
    Mais aussi, que de contradictions, que d’invraisemblances dans tous leurs bavardages ! Un exemple ? Relisons seulement le pacte que l’abbé Guibourg prétend avoir lu à l’occasion d’une sinistre messe célébrée sur le ventre de la Dame : « Je demande l’amitié du Roy et celle de Mgr le Dauphin et qu’elle me soit continuée, que la Reine soit stérile, que le Roy quitte son lit et sa table pour moi, que j’obtienne de lui tout ce que je lui demanderai pour moi et mes parents... que je puisse être appelée aux Conseils du Roy... et que le Roy quitte La Vallière et que la Reine soit répudiée... que je puisse épouser le Roy... »
    Stupéfiant, le texte de cette conjuration ! Il daterait des années 1667-1668 {35} et l’abbé adipeux, dont on connaît par ailleurs les imprécisions de mémoire, serait capable, treize ans plus tard, de le réciter ex abrupto  ! Un jugement sain ne peut l’admettre. Athénaïs veut écarter La Vallière, soit ! Mais à cette époque le Dauphin, cité par Guibourg, est à peine âgé de six ans. Est-ce qu’à six ans un enfant, fût-il le fils aîné du Roi, peut influencer son père dans la sélection de ses maîtresses ? Athénaïs souhaite la stérilité de Marie-Thérèse : une ineptie qui ne lui sied pas, Louis XIV ayant déjà fait quatre enfants à l’infante ! Athénaïs prie pour que la Reine soit répudiée, qu’elle puisse la remplacer : nouvelle invraisemblance. Elle n’ignore pas que le temps est révolu où les rois congédiaient leurs épouses sans armes ni bagages, elle n’ignore pas que l’Église ne le tolérerait pas.
    À un moment donné de l’instruction de La Reynie-Louvois, il est noté, aussi, que Mme de Montespan a envisagé, un jour où la liaison royale semblait en péril (la faute à quelque jalousie), de supprimer le roi Louis XIV. Que tel ou telle ait voulu attenter à la vie du Roi-Soleil, cela se conçoit (la Voisin parle en effet d’un billet empoisonné destiné au Roi. Il l’aurait ouvert et les effluves l’auraient emporté !), mais qu’Athénaïs, même sur un coup de colère, soit à l’origine de ce placet fatal, comme on l’a parfois soutenu, voilà qui laisse songeur. Car on ne tue pas la poule aux oeufs d’or ! C’est de Louis Soleil qu’elle tenait sa fortune, sa gloire, sa puissance. Son amant disparu, que serait-elle devenue ? Marie-Thérèse, trop longtemps bafouée, n’aurait pas manqué de la châtier. Elle aurait donc encouru la disgrâce ou le couvent... si ce n’est le bannissement. Son intérêt, donc, était que vive le Roi !
    On peut concevoir que toutes ces accusations répétées aient fini par inquiéter Colbert. Jusqu’alors, il s’était bien gardé d’intervenir, maintenant, il se devait d’agir. Mais Jean-Baptiste Colbert sera très impartial, contrairement à Louvois, car il ne fera rien de lui-même ; il demandera à un  homme de loi, étranger au grenouillage, de jeter un coup d’oeil objectif sur l’affaire et de lui faire connaître ses conclusions. Cet homme choisi, ce sera maître Duplessis, un avocat qui venait de publier un traité des matières criminelles. Compétent, donc. La lettre que Colbert lui envoie pour lui expliquer le dossier est parvenue jusqu’à nous, elle mérite d’être lue.
    « Il me semble que l’on peut beaucoup soupçonner que la longueur de la prison, la multiplication des interrogatoires, le grand nombre de prisonniers, tous accusés et complices des mêmes crimes et qui ont pu facilement avoir communication entre eux, ont donné lieu et facilité à ces différentes accusations, pour rendre complices de tous leurs crimes des personnes de considération, embarrasser le jugement de leur procès, prolonger la peine qu’ils savaient bien avoir méritée et peut-être l’anéantir. Il faut examiner s’il y avait nécessité ou non de faire tant d’interrogatoires, d’établir une chambre extraordinaire pour cette nature de crimes, de prolonger ces procès contre l’ordre habituel de la justice et, si cette affaire avait été remise en son entier aux lieutenants criminels, si elle n’aurait pas été plus promptement terminée et plus sûrement punie, sans tomber dans tous les embarras dans lesquels

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