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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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bizarre.
    On peut s’imaginer mon attention : je
m’étais aussi rapproché de la table, les coudes au bord, le menton
dans les mains, et je regardais, retenant mon haleine, les yeux
écarquillés jusqu’aux tempes.
    Toujours cette scène sera présente à mon
esprit ; le silence profond de la chambre, le tic-tac de
l’horloge, le bruissement du feu, la chandelle comme une étoile au
milieu de nous ; en face de moi, l’oncle dans son coin
grisâtre, Scipio à mes pieds, puis le mauser, courbé sur le livre
des prédictions, et derrière lui les petites vitres noires, où
descendait la neige dans les ténèbres ; je revois tout cela,
et même il me semble entendre encore la voix de ce pauvre vieux
taupier, et celle de ce bon oncle Jacob, descendus tous deux depuis
si longtemps dans la tombe.
    C’était une scène étrange.
    – Comment, mauser ! dit l’oncle,
vous avez besoin de lunettes à votre âge ? moi qui vous
croyais une vue excellente ?
    – Je n’en ai pas besoin pour lire des
choses ordinaires, ni pour regarder dehors, répondit le
taupier ; j’ai de bons yeux, et d’ici jusque sur la côte de
l’Altenberg, au printemps, je vois un nid de chenilles sur les
arbres ; mais vous saurez que ces lunettes sont celles de ma
tante Roesel, de Héming, et qu’il faut les avoir pour comprendre ce
livre. Quelquefois ça me trouble, mais je lis au-dessus ou
au-dessous ; le principal est que je les aie sur le nez.
    – Ah ! c’est différent, bien
différent, dit l’oncle d’un ton sérieux ; car il avait trop
bon cœur pour laisser voir au taupier que cela l’étonnait.
    Aussitôt le mauser se mit à lire :
    « 
Anno
1793. – L’herbe est
séchée et la fleur est tombée, parce que le vent a soufflé
dessus ! » Cela signifie que nous sommes en hiver :
l’herbe est séchée, parce que le vent a soufflé dessus !
    L’oncle inclina la tête, et le taupier
poursuivit :
    « Les îles ont vu et ont été saisies de
crainte ; les bouts de la terre ont été effrayés ; ils se
sont approchés et sont venus. » Ça, monsieur le docteur, c’est
pour faire entendre que l’Angleterre, et même les îles qui sont
plus loin dans la mer, ont été effrayées à cause des Républicains.
« Ils se sont approchés et sont venus ! » Tout le
monde sait que les Anglais ont débarqué en Belgique pour faire la
guerre aux Français. Mais écoutez bien le reste : « En ce
temps-là, les conducteurs des peuples seront comme le feu d’un
foyer parmi du bois, et comme un flambeau parmi des gerbes ;
ils dévoreront à droite et à gauche tous les pays. »
    Le mauser alors leva le doigt d’un air grave
et dit :
    – Ça, ce sont les rois et les empereurs
qui s’avancent au milieu de leurs armées, et qui dévorent tout dans
les pays qu’ils traversent. Nous connaissons malheureusement ces
choses pour les avoir vues ; notre pauvre village s’en
souviendra longtemps.
    Et comme l’oncle ne répondait pas, il
reprit :
    « En ce temps-là, malheur au pasteur du
néant qui abandonnera son troupeau ; l’épée tombera de son
bras et son œil droit sera entièrement obscurci. » Nous
voyons, par ces mots, l’évêque de Mayence, avec sa nourrice et ses
cinq maîtresses, qui s’est sauvé l’année dernière, à l’arrivée du
général Custine. C’était un vrai pasteur du néant, qui faisait le
scandale de tout le pays : son bras s’est desséché et son œil
droit s’est obscurci.
    – Mais, dit l’oncle, songez donc, mauser,
que cet évêque n’était pas le seul, et qu’il y en avait beaucoup
ayant la même conduite, en Allemagne, en France, en Italie et dans
tout le monde.
    – Raison de plus, monsieur le docteur,
répondit le taupier, le livre parle pour toute la terre,
« car, – fit-il, le doigt appuyé sur la page, – car,
en ce temps-là, dit l’Éternel, j’ôterai du monde les faux
prophètes, les faiseurs de miracles et l’esprit d’impureté ».
Qu’est-ce que cela peut signifier, docteur Jacob, sinon tous ces
hommes qui parlent sans cesse d’amour du prochain, pour obtenir
notre argent ; qui ne croient à rien, et nous menacent de
l’enfer ; qui s’habillent de pourpre et d’or, et nous prêchent
l’humilité ; qui disent : « Vendez tous vos biens
pour suivre le Christ ! » et ne font qu’entasser
richesses sur richesses dans leurs palais et leurs couvents ;
qui nous recommandent la foi et rient entre eux des simples qui

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