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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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tête de
jeune fille, coiffée d’un bonnet en forme de casque ; cette
relique attira mes yeux ; j’ai su depuis que c’était l’image
de la République, mais alors je pensai que c’était la sainte Vierge
des Français.
    Comme le mauser levait la chandelle derrière
nous, l’alcôve était pleine de lumière, et madame Thérèse me parut
aussi beaucoup plus grande ; sa hanche, sa jambe, et son pied
descendaient sous la couverture jusqu’au bas du lit. Je n’avais
jamais remarqué ces choses, qui me frappèrent alors. Elle regardait
Koffel, qui ne quittait pas des yeux l’oncle Jacob, comme pour lui
demander ce qu’il fallait faire.
    – Ce sont des bruits qui courent au
village, dit-il d’un air embarrassé ; ce Richter ne mérite pas
pour deux liards de confiance.
    – C’est égal, monsieur Koffel,
racontez-moi cela, dit-elle ; M. le docteur le permet.
N’est-ce pas, monsieur le docteur vous le permettez ?
    – Sans doute, fit l’oncle d’un air de
regret. Mais il ne faut pas croire tout ce qu’on rapporte.
    – Non…, on exagère, je le sais
bien ; mais il vaut mieux savoir les choses que de se figurer
mille idées ; cela tourmente moins.
    Koffel se mit donc à raconter que deux jours
avant les Français avaient attaqué Kaiserslautern, et que, depuis
sept heures du matin jusqu’à la nuit, ils avaient livré de
terribles combats pour entrer dans les retranchements ; que
les Prussiens les avaient écrasés par milliers ; qu’on ne
voyait que des morts dans les ravins, sur la côte, le long des
routes et dans la Lauter ; que les Français avaient tout
abandonné : leurs canons, leurs caissons, leurs fusils et
leurs gibernes ; qu’on les massacrait partout, et que la
cavalerie de Brunswick, envoyée à leur poursuite, faisait des
prisonniers en masse.
    Mme Thérèse, le menton appuyé sur la
main, les yeux fixés au fond de l’alcôve et les lèvres serrées, ne
disait rien. Elle écoutait, et de temps en temps, lorsque Koffel
voulait s’arrêter – car de raconter ces choses devant cette
pauvre femme, cela lui faisait beaucoup de peine – elle lui
lançait un regard très calme, et il poursuivait, disant :
« On raconte encore ceci ou cela, mais je ne le crois
pas. »
    Enfin il se tut, et Mme Thérèse, durant
quelques instants, continua à réfléchir. Puis comme l’oncle
disait : « Tout cela, ce ne sont que des bruits… On ne
sait rien de positif… Vous auriez tort de vous désoler, madame
Thérèse, » elle se releva légèrement, pour s’appuyer contre le
bois de lit, et nous dit d’une voix très simple :
    – Écoutez, il est clair que nous avons
été repoussés. Mais ne croyez pas, monsieur le docteur, que cela me
désole ; non, cette affaire, qui vous paraît considérable, est
peu de chose pour moi. J’ai vu ce même Brunswick arriver jusqu’en
Champagne, à la tête de cent mille hommes de vieilles troupes,
lancer des proclamations qui n’avaient pas le sens commun, menacer
toute la France et ensuite reculer, devant les paysans en sabots,
la baïonnette dans les reins jusqu’en Prusse. Mon père, – un
pauvre maître d’école, devenu chef de bataillon, – mes frères,
– de pauvres ouvriers, devenus capitaines par leur courage,
– et moi derrière, avec le petit Jean dans ma charrette, nous
lui avons fait la conduite, après les défilés de l’Argonne et la
bataille de Valmy. Ne croyez donc pas que de telles choses
m’effrayent. Nous ne sommes pas cent mille hommes, ni deux cent
mille : nous sommes six millions de paysans, qui voulons
manger nous-mêmes le pain que nous avons gagné péniblement par
notre travail. C’est juste et Dieu est avec nous.
    En parlant, elle s’animait, elle étendait son
grand bras maigre ; le mauser, l’oncle et Koffel se
regardaient stupéfaits.
    – Ce n’est pas une défaite, ni vingt, ni
cent qui peuvent nous abattre, reprit-elle ; quand un de nous
tombe, dix autres se lèvent. Ce n’est pas pour le roi de Prusse, ni
pour l’empereur d’Allemagne que nous marchons, c’est pour
l’abolition des privilèges de toute sorte, pour la liberté, pour la
justice, pour les droits de l’homme ! – Pour nous
vaincre, il faudra nous exterminer jusqu’au dernier, fit-elle avec
un sourire étrange, et ce n’est pas aussi facile qu’on le croit.
Seulement il est bien malheureux que tant de milliers de braves
gens de votre côté se fassent massacrer pour des rois et des nobles
qui sont

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