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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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vivre en paix !
    Cette explication des taupes et des
chauves-souris m’avait tellement frappé, que je restais les yeux
tout grands ouverts, m’imaginant voir s’accomplir cette
transformation bizarre dans le coin où se tenait l’oncle. Je
n’écoutais plus, et la voix du mauser continuait sa lecture
monotone, lorsque la porte s’ouvrit de nouveau. J’en eus la chair
de poule ; le vieil aveugle Harich et la vieille Christine
seraient entrés bras dessus bras dessous, avec leur nouvelle
figure, que je n’en aurais pas été plus effrayé. Je tournai la
tête, la bouche béante, et je respirai : c’était notre ami
Koffel qui venait nous voir ; il me fallut regarder deux fois
pour bien le reconnaître, tant les idées de chauves-souris et de
taupes s étaient emparées de mon esprit.
    Koffel avait son vieux tricot gris de l’hiver,
son bonnet de drap tiré sur la nuque et ses gros souliers éculés,
dans lesquels il mettait de vieux chaussons pour sortir ; il
se tenait les genoux pliés et les mains dans les poches, comme un
être frileux ; des flocons de neige innombrables le
couvraient.
    – Bonsoir, monsieur le docteur, fit-il en
secouant son bonnet dans le vestibule ; j’arrive tard ;
beaucoup de gens m’ont arrêté sur la route, au
Bœuf-Rouge
et au
Cruchon-d’Or
.
    – Entrez, Koffel, lui dit l’oncle. Vous
avez bien fermé la porte de l’allée ?
    – Oui, docteur Jacob, ne craignez
rien.
    Il entra, en souriant :
    – La gazette n’est pas arrivée ce
matin ? dit-il.
    – Non, mais nous n’en avons pas besoin,
répondit l’oncle d’un accent de bonne humeur un peu comique. Nous
avons le livre du mauser, qui raconte le présent, le passé et
l’avenir.
    – Est-ce qu’il raconte aussi notre
victoire ? demanda Koffel en se rapprochant du fourneau.
    L’oncle et le mauser se regardèrent
étonnés.
    – Quelle victoire ? fit le
mauser.
    – Hé ! celle d’avant-hier, à
Kaiserslautern. On ne parle que de cela dans tout le village ;
c’est Richter, M. Richter qui est revenu de là-bas, vers deux
heures, apporter la nouvelle. Au
Cruchon-d’Or
, on a déjà
vidé plus de cinquante bouteilles en l’honneur des Prussiens ;
les Républicains sont en pleine déroute !
    À peine eut-il parlé des Républicains, que
nous regardâmes du côté de l’alcôve, songeant que la Française
était là et qu’elle nous entendait. Cela nous fit de la peine, car
c’était une brave femme, et nous pensions que cette nouvelle
pouvait lui causer beaucoup de mal. L’oncle leva la main, en
hochant la tête d’un air désolé ; puis il se leva doucement et
entrouvrit les rideaux pour voir si Mme Thérèse dormait.
    – C’est vous, monsieur le docteur,
dit-elle aussitôt ; depuis une heure j’écoute les prédictions
du mauser, j’ai tout entendu.
    – Ah ! madame Thérèse, dit l’oncle,
ce sont de fausses nouvelles.
    – Je ne crois pas, monsieur le docteur.
Du moment qu’une bataille s’est livrée avant-hier à Kaiserslautern,
il faut que nous ayons eu le dessous, sans quoi les Français
auraient marché tout de suite sur Landau, pour débloquer la place
et couper la retraite aux Autrichiens : leur aile droite
aurait traversé le village.
    Puis élevant la voix :
    – Monsieur Koffel, dit-elle, voulez-vous
me dire les détails que vous savez ?
    De toutes les choses lointaines de ce temps,
celle-ci surtout est restée dans ma mémoire, car cette nuit-là nous
vîmes quelle femme nous avions sauvée, et nous comprîmes aussi
quelle était cette race de Français qui se levait en foule pour
convertir le monde.
    Le mauser avait pris la chandelle sur la
table, et nous étions tous entrés dans l’alcôve. Moi au pied du
lit, Scipio contre la jambe, je regardais en silence, et, pour la
première fois, je voyais que Mme Thérèse était devenue si
maigre, qu’elle ressemblait à un homme : sa longue figure
osseuse, au nez droit, le tour des yeux et le menton dessinés en
arêtes, était appuyée sur sa main ; son bras, sec et brun,
sortait presque jusqu’au coude de la grosse chemise de
Lisbeth ; un mouchoir de soie rouge, noué sur le front,
retombait derrière, sur sa nuque décharnée ; on ne voyait pas
ses magnifiques cheveux noirs, mais seulement quelques petits
au-dessous des oreilles, où pendaient deux grands anneaux d’or. Et
ce qui surtout fixa mon attention, c’est qu’au bas de son cou
pendait une médaille de cuivre rouge, représentant une

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