Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
qu’il faisait gravement,
sans montrer l’avidité des autres chiens du village.
Nous en étions là et j’allais sortir, lorsque
Lisbeth, qui venait de finir son ouvrage et qui s’essuyait les bras
à la serviette, derrière la porte, me demanda :
– Dis donc, Fritzel, est-ce que tu restes
ici ?
– Non, je vais voir le petit Hans
Aden.
– Eh bien, écoute : puisque tu mets
tes sabots, va donc chez le mauser me chercher du miel pour la
Française ; monsieur le docteur veut qu’on lui fasse une
boisson avec du miel. Prends ton écuelle et va là-bas. Tu diras au
mauser que c’est pour l’oncle Jacob. Voici l’argent.
Rien ne me plaisait tant que d’avoir à faire
des commissions, surtout chez le mauser, qui me traitait comme un
homme raisonnable. Je pris donc l’écuelle et je sortis avec Scipio
pour me rendre chez le taupier, dans la ruelle des Orties, derrière
l’église.
Quelques commères commençaient à balayer le
devant de leur porte.
À l’auberge du
Cruchon-d’Or
, on
entendait tinter les verres et les bouteilles ; on chantait,
on riait, les gens montaient et descendaient l’escalier. Un
vendredi, cela me parut extraordinaire ; je m’arrêtai pour
voir si c’était une noce ou un baptême, et comme je me tenais de
l’autre côté de la rue, sur la pointe des pieds, regardant dans la
petite allée ouverte, je vis, au fond de la cuisine, la silhouette
étrange du mauser se pencher devant la flamme, son bout de pipe
noire au coin des lèvres, et sa main brune qui posait une braise
sur le tabac.
Plus loin, à droite, j’aperçus aussi la
vieille Grédel avec sa cornette à rubans tremblotants ; elle
arrangeait des assiettes sur un dressoir, et son chat gris se
promenait au bord en faisant le gros dos et la queue en l’air.
Un instant après, le mauser revint lentement
dans l’allée sombre, lançant de grosses bouffées. Alors je lui
criai :
– Mauser ! mauser !
Il s’avança jusqu’au bord de l’escalier, et me
dit en riant :
– C’est toi, Fritzel ?
– Oui, je vais chez vous chercher du
miel.
– Hé ! monte donc boire un
coup ; nous irons ensemble tout à l’heure.
Et se tournant vers la cuisine :
– Grédel, cria-t-il, apportez un verre
pour Fritzel.
Je m’étais dépêché de monter, et nous
entrâmes, Scipio sur nos talons.
Dans la salle, à travers la fumée grisâtre, on
ne voyait le long des tables, que des gens en blouse, en veste, en
camisole, le bonnet ou le feutre sur l’oreille ; les uns assis
à la file, les autres à cheval au bout des bancs, levant leurs
verres pleins d’un air joyeux, et célébrant la grande victoire de
Kaiserslautern. De tous les côtés on entendait chanter le
Faterland
. Quelques vieilles buvaient avec leurs fils et
semblaient aussi joyeuses que les autres.
Je suivais le mauser, qui s’avançait, le dos
rond, vers les fenêtres de la rue. Là se trouvaient, dans le coin à
droite, l’ami Koffel et le vieux Adam Schmitt, devant une bouteille
de vin blanc. Dans l’autre coin, en face, l’aubergiste Joseph
Spick, son bonnet de laine frisée sur l’oreille, comme un
batailleur, et M. Richter, en veste de chasse et grandes
guêtres de cuir, buvaient du
gleiszeller
au cachet vert.
Ils étaient pourpres tous les deux jusqu’aux oreilles, et
criaient :
– À la santé de Brunswick ! à la
santé de notre glorieuse armée !
– Hé ! fit le mauser en s’approchant
de notre table, place pour un homme.
Et Koffel, se retournant, me serra la main,
tandis que le père Schmitt disait :
– À la bonne heure, à la bonne heure,
voici du renfort.
Il me fit asseoir près de lui, contre le mur,
et Scipio vint aussitôt lui lever la main du bout de son nez, d’un
air de vieille connaissance.
– Hé ! hé ! hé ! disait le
vieux soldat, c’est toi, l’ancien ; tu me reconnais !
Grédel apporta un verre, et le mauser
l’emplit.
Au même instant, M. Richter se mit à
crier à l’autre bout de la table, d’un ton moqueur :
– Hé ! Fritzel, comment va
M. le docteur Jacob ? Il ne vient donc pas célébrer la
grande bataille ! C’est étonnant, étonnant, un si bon
patriote !
Et moi, ne sachant que répondre, je dis tout
bas à Koffel :
– L’oncle est parti sur son traîneau pour
soigner un pauvre bûcheron qui s’est laissé prendre sous sa
schlitte
.
Alors Koffel, se retournant, s’écria d’une
voix claire :
– Pendant que le petit-fils d’un
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