Mademoiselle
mon établissement et ne pas abandonner ce soin aux mains de vos valets. Dès que mon honneur est attaqué, c'est vousqui devez le défendre, vous poser comme mon protecteur. Il y va de votre propre gloire.
Une heure et demie qu'elle entendait des reproches et s'efforçait d'y répondre. Elle n'en pouvait plus. Brusquement, elle prit l'initiative d'arrêter cette scène.
— Je crois que Votre Majesté n'a plus rien à me dire, lança-t-elle.
Après une brève révérence, elle sortit.
Dans une pièce voisine, les proches de la reine, l'oreille aux aguets, s'attendaient à une réprimande gentille suivie du repentir de la coupable. Quelle ne fut pas leur surprise, à mesure que le temps passait, d'entendre le ton monter ! Était-ce possible qu'à trois ils fissent pareil vacarme ? Enfin, ils virent une furie sortir de chez la reine, la mine irritée mais fière, les yeux remplis de colère plus que de repentir.
— Si j'avais une fille comme elle, qui me traitât comme elle a traité son père, confia le soir Anne d'Au-triche à Mme de Motteville, je l'aurais bannie de la cour et enfermée dans un couvent pour jamais.
Était-ce sollicitude sincère ou désir de paraître informée des secrets de la reine ? La « bonne » Motteville répéta la confidence dès le lendemain à l'adolescente.
Elle eut beau soutenir ensuite longuement que Mademoiselle avait raison d'un certain côté, qu'un père avait tort de se soucier uniquement des bienséances et non des souhaits de son enfant, qu'une fille, par l'intérêt qu'elle y avait, n'était point blâmable de penser elle-même à son mariage. Le mal était fait.
Anne-Louise savait que sa tante bien-aimée la condamnait et la méprisait. Elle ne pouvait le supporter. La fièvre double-tierce la prit. Elle dut se mettre au lit.
L'été 1648 s'avançait. Condé remporta sur les Espagnols l'éclatante victoire de Lens. Difficile pour Anne-Louisede ne pas partager — un peu, du moins — l'admiration de son entourage pour le brillant homme de guerre, qu'elle détestait parce qu'il éclipsait son père. En revanche, elle demeura étrangère aux inquiétudes de ses proches.
Ils s'effrayaient de voir les parlementaires se dresser contre Mazarin pour garantir leurs privilèges fiscaux, les bourgeois de Paris les soutenir, prendre les armes et élever des barricades dans la ville contre le pouvoir insupportable de l'Italien.
Jusqu'au jour où elle se retrouva seule de la famille royale dans la capitale. Sous prétexte de nettoyages dans ses demeures du Louvre et du Palais-Royal, la cour était brusquement partie s'installer à Rueil. En réalité, pour se mettre à l'abri des émeutes.
Personne n'avait prévenu la jeune fille de cet exode. Elle en fut ulcérée, blessée surtout du mépris affiché de sa tante et de son père, parti, sans l'informer, avec sa femme et ses deux filles en bas âge.
Heureusement, la présence d'une amie nouvelle auprès d'elle, la douce et blonde Claire de Frontenac, s'ajoutait maintenant à celles de Cécile et de Gillonne. D'une famille modeste, elle avait été mariée à Frontenac, un fils de famille débauché qui l'avait amusée un temps mais qu'elle fuyait volontiers maintenant.
Claire composait des poèmes, écoutait Mademoiselle lui parler de son goût pour l'écriture, inventait avec elle une description du royaume de la Lune et l'encourageait à poursuivre le récit que la jeune fille avait commencé : la vie romanesque d'une intrigante, Mme de Fouquerolles.
Grâce à ses trois compagnes, à leur affection, leurs caresses, leurs causeries, leurs chevauchées infinies des Tuileries au Cours-la-Reine, Anne-Louise se réconfortait d'avoir été abandonnée par les siens.
Au fond, elle n'était pas mécontente des malheurs de la cour. Ils la vengeaient de l'hostilité du cardinal, des remontrances de son père et de sa tante, des contrariétés et des humiliations que tous lui avaient infligées.
Avec les Parisiens, elle se mettait à employer le verbe fronder, mis en vogue par un conseiller au Parlement, vite repris dans des chansons populaires. « Un vent de Fronde s'est levé ce matin. Je crois qu'il gronde contre le Mazarin. »
Elle pouvait chanter la Fronde, elle, la petite-fille d'Henri IV. Elle ne ressentait aucune crainte. Le peuple ne lui faisait pas peur.
5
« Qu'il me dise des douceurs... »
Pour l'exode suivant, Anne-Louise fut prévenue. La nuit des rois, le 6 janvier 1649, peu après trois heures
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