Mademoiselle
sont du côté des parlementaires.
Brusquement, elle se tut. Elle rêvait à cette Anne-Geneviève, fille de la vaniteuse douairière de Condé, mariée au duc de Longueville, qui était devenue l'âme de la révolte parisienne. Sans crainte du scandale, elle avait mis au monde, en janvier, au beau milieu de l'hôtel de ville, le fils de son amant, La Rochefoucauld, qu'elle prénomma Charles-Paris. À peine accouchée, elle que l'on disait si fragile avait retrouvé des forces pour continuer la lutte contre le pouvoir.
Quelle aventure ! Dire qu'Anne-Geneviève n'a que huit ans de plus que moi. Que serai-je dans huit ans ? Où ?
Elle bouillait de vivre, d'être libre, de profiter de ses millions, d'avoir une place à part. Malgré les principes de retenue que l'on inculquait aux filles de son rang, la gloire leur était possible. Non pas la gloire fortuite ou imposée, superficielle même, de régente ou de reine. Mais la véritable gloire, choisie et assumée, celle de l'action, du pouvoir vrai.
Oui, c'était possible. La preuve, les gentilshommes qui abandonnaient Saint-Germain, pour rallier parlementaires et Parisiens, se réunissaient auprès de Mme de Longueville, chez qui se tenaient les conseils et se prenaient les décisions. Vivement que je puisse agir moi aussi, ruminait Anne-Louise.
Dès que le paix fut signée entre la cour et les parlementaires, elle fut l'une des premières en avril à regagner Paris. Tant elle avait hâte de voir le lieu des affrontements et de l'action.
Elle ne remarqua rien d'extraordinaire, mais retrouva sa tante d'Angleterre qui lui raconta longuement ses malheurs. Elle n'avait pas quitté le Louvre pendant les événements,gémissait-elle, et elle y avait appris la décapitation de son époux. Elle parut pourtant à sa nièce moins affligée qu'on aurait pu l'imaginer. Lord Jermyn, il est vrai, était à ses côtés.
La chanson recommença. Il fallait qu'Anne-Louise épouse Charles. Sa tante et Jermyn faisaient pression. Mazarin aussi, qui entendait ménager la possibilité d'une restauration du roi en Angleterre et se serait réjoui d'une alliance de la France avec lui. Anne d'Autriche et Monsieur ne voulaient pas se brouiller avec leur malheureuse parente et se réfugiaient derrière le caractère obstiné de Mademoiselle.
— Elle ne fait que ce qu'elle veut. Nous n'avons point de pouvoir sur ses décisions.
La Rivière soutenait qu'il n'y avait plus d'autre parti assez prestigieux pour elle en Europe. Les divers trônes étaient pourvus.
Anne-Louise hésitait. L'Angleterre en voulait à son argent, elle le savait. Elle s'effrayait de vendre ses biens pour les hasarder à la reconquête d'un royaume. Elle avait toujours vécu dans l'opulence, elle redoutait la médiocrité.
Mais il valait mieux épouser Charles pendant qu'il était dans le malheur. Au moins lui serait-il reconnaissant de l'avoir aidé, avec ses millions, à vaincre les républicains de Cromwell et à remonter sur son trône.
Quant à leur différence de religions, le problème restait entier. Jamais elle n'abandonnerait le catholicisme, et jamais Charles ne pourrait s'y convertir. Alors ?
Son père comme toujours se montrait indécis, de l'avis du dernier qui parlait. Et puis, il n'avait pas envie de la voir établie. Il vivait à ses crochets, gérant à son gré l'immense fortune de sa fille. « Sans elle, je serais comme un gueux », se plaisait-il à répéter avec dérision.
Tout à coup, on apprit la mort en couches de la nouvelleimpératrice. On avait depuis peu signé la paix avec l'empereur. Anne-Louise pouvait maintenant l'épouser sans trahir sa patrie. Mais un si vieux mari pourvu déjà de plusieurs enfants adultes...
Elle se rappelait la fière allure de Charles. Il devait passer par la France avant de partir en Irlande regrouper ses troupes. Elle le verrait et se déciderait alors.
Elle l'attendit avec fébrilité. Ses vingt et un ans avaient besoin d'amour. Elle le sentait.
— Je meurs d'envie qu'il me dise des douceurs, avoua-t-elle à Claire.
On ne lui en avait jamais dit. On en murmurait aux autres, aux dames autour d'elle, aux reines même qui pourtant n'étaient plus jeunes. On la croyait fière, insensible. Elle était seulement sage comme on lui avait enseigné à l'être, et elle en souffrait. Auprès de son amie, elle justifiait et répétait son envie de tendresses.
— C'est un roi, ce n'est pas un homme de rien, il ne m'est pas inférieur. Sa mère, tout le
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