Mademoiselle
monde veut me marier avec lui. Je souhaite qu'il me dise des douceurs. Où est le mal ?
La rencontre avec le prince était prévue à Compiègne. Rien de comparable avec les fastes de Fontainebleau naguère. Les finances de la France étaient au plus bas. Un dîner simple, mais des convives du plus haut rang, les reines, Louis, Monsieur et sa fille, Charles.
Anne-Louise, qui portait d'ordinaire ses cheveux blonds dénoués, se fit friser pour l'occasion, à petites boucles serrées sur les côtés, laissant voir les deux perles superposées de ses superbes pendants d'oreilles. On ne manqua pas de se moquer : « Admirez donc la coquette ! »
Anne d'Autriche, en la voyant monter en carrosse,grande jupe et tunique de souple drap beige rehaussé de passements de soie vert et jaune, bottes à l'écuyère, lança :
— Comme la voilà faite ! Elle attend son amoureux. Anne-Louise eut envie de répliquer : « J'en connais d'autres qui s'ajustent pour leur galant. Moi du moins, c'est pour l'épouser... » Elle se retint.
Le cœur lui battit en apercevant la belle mine de Charles et la grâce de ses dix-huit ans. Quand il parla, tout changea. Il répondit en français au petit roi qui l'interrogeait sur ses chiens et ses chasses. Mais, dès que sa mère évoqua ses affaires et le destin de son royaume, il se renfrogna, prétextant ne pas connaître la langue de France.
Au dîner, ce fut pis. Il bouda les ortolans pour se jeter sur une énorme pièce de bœuf, puis sur une épaule de mouton. Mademoiselle frémit de voir son goût si peu délicat.
Les reines eurent soin de laisser les jeunes gens en tête à tête après le repas. Anxieuse, Anne-Louise attendait toujours. Peine perdue. Charles garda un silence obstiné. Ce silence marque son respect, pensa la jeune fille. Évidemment. Il ne se jette pas sur moi comme sur l'épaule de mouton. Mais elle était déçue. Elle aurait préféré moins de respect et davantage de passion.
On raccompagna le prince jusqu'au milieu de la forêt où l'attendait son carrosse. Il demeura muet. En s'inclinant devant Anne-Louise, au moment de partir, il lui dit :
— Lord Jermyn, qui parle mieux que moi, vous fera part de mes intentions.
Anne-Louise se raidit. Pour les douceurs, il ne fallait pas y compter...
Charles ne devait rester que quelques jours en France. Il y fut trois mois. Comme beaucoup, la jeune fille blâmaitson incurie. Il avait mieux à faire qu'à chasser ou danser s'il voulait reconquérir le trône d'Angleterre. Il traînait partout après lui une Anglaise, folle amoureuse de lui. Anne-Louise ne pouvait manquer de la voir.
La reine déchue l'appela dans son cabinet et, contre toute vraisemblance, lui dit avec empressement :
— Je vous le dis en confidence, ma nièce. Mon fils redoute horriblement que vous appreniez l'existence de cette dame.
Devant tant d'hypocrisie, la jeune fille haussa les épaules sans répondre. Elle se disposait à partir pour l'abbaye de Poissy où séjournaient ses jeunes sœurs. Sa tante lui demanda de prendre dans son carrosse son fils cadet York, et au retour de le laisser à Saint-Germain. Elle y consentit.
Là-dessus, Charles passa et eut envie de faire la promenade à Poissy. Anne-Louise refusa. Prendre avec elle un petit garçon comme York, soit. Pour son frère aîné, cela n'était pas convenable.
— Eh bien, dit la reine, forçant le carrosse de sa nièce, j'y viens aussi. Les convenances seront sauves.
Pendant le trajet, elle fut la seule à parler. Elle n'eut de cesse d'affirmer que son fils vivrait parfaitement bien avec son épouse, et n'aimerait qu'elle. Quelque amourette qu'il ait eue avant son mariage, il l'abandonnerait à jamais une fois marié. Il l'avait confié à sa mère, il ne comprenait point comment un homme raisonnable pouvait s'attacher à une autre femme que la sienne.
Le trajet n'était pas long et les six magnifiques chevaux de Mademoiselle semblaient voler sur la route. Pourtant, en arrivant à l'abbaye, Anne-Louise se sentit épuisée, excédée des discours de la royale entremetteuse.
Elle resta peu à Poissy, y laissa selon leur désir la mère et ses fils. Quand Charles la raccompagna à sa voiture,il s'inclina, toujours sans ouvrir la bouche. Comment avait-elle pu rêver qu'il lui dirait des douceurs ? Elle étouffait de rage.
Dans l'hiver, la petite vérole la prit et fit le vide autour d'elle. La fièvre la tint longtemps. Quand elle fut consciente, elle craignit
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