Mademoiselle
beaucoup de mourir. La cruelle et contagieuse maladie faisait tellement de ravages. Tant pis si elle était défigurée et perdait sa beauté. Au fond, il lui importait de vivre plus que de séduire.
Par chance, les boutons ne laissèrent pas de traces sur son visage. Au contraire, son teint, facilement couperosé quand elle chevauchait longtemps dans le vent, gagna en blancheur.
— Vous avez fait semblant d'être malade, ma belle cousine. Qu'aviez-vous à cacher ? railla le prince de Condé quand il la revit en janvier 1650, parée de velours cerise et des rubis de sa mère.
Elle n'apprécia pas la plaisanterie. Ni qu'il parût régner en maître à la cour.
Mazarin appréciait encore moins. Le prince avait vaincu les Espagnols à Rocroi, à Lens, puis les parlementaires et les Parisiens. Il avait sauvé la France. D'accord. Pour autant on ne pouvait tolérer qu'il cherchât à prendre le pouvoir. Le cardinal avait triomphé de la Fronde du Parlement. Ce n'était pas pour subir une Fronde des princes. Il décida de frapper fort.
Trois jours après le retour d'Anne-Louise à la cour, il fit arrêter le prince de Condé, son frère et son beau-frère Longueville. Anne-Geneviève dut s'enfuir en Normandie.
6
Incertitudes
On dansait sur un volcan. Les provinces de France, les unes après les autres, se révoltaient contre l'arrestation des princes. À la différence de l'empereur, les Espagnols n'avaient pas signé la paix avec la France et menaçaient constamment de l'envahir.
Mais la cour continuait d'offrir à ses privilégiés les plaisirs des bals, des fêtes et du jeu. Anne-Louise s'y jetait à corps perdu. Puisque rien ne se décidait pour son mariage, puisqu'aucun homme n'était capable de lui offrir de la tendresse, elle voulait profiter de sa liberté et s'amuser.
Un soir, dans une salle tendue de cuir de Cordoue, proche de la grande galerie du Louvre, elle joua une superbe émeraude montée en bague avec Philippe, le cadet du jeune roi. Il n'avait que dix ans mais adorait les bijoux. Mademoiselle en avait de fort beaux.
Le jeu battait son plein quand Louis, passant la tête,voulut voir comment la chance tournait. Furieuse d'être dérangée, Anne-Louise se dirigea vers son cousin, le poussa hors de la salle et lui claqua la porte au nez. Cela jeta un froid.
En elle-même, elle regretta sa vivacité mais ne présenta pas pour autant ses excuses au roi. Il était son cousin, encore un enfant. Elle n'attendait pas de lui des douceurs, seulement qu'il devienne son petit mari, et elle la reine de France.
Mais qui donc, songeait-elle parfois, comblerait sa soif de tendresse et d'amour ?
Elle garda de l'incident une impression de malaise. Elle dormit mal et fit un rêve étrange. Elle se trouvait dans son lit aux Tuileries, les rideaux en soie bleu et or de son baldaquin tirés et noués aux angles. Une porte, la porte dorée de la petite salle du Louvre, s'ouvrait. Louis et son frère la franchissaient, tous deux vêtus de somptueux habits de velours écarlate. Ils entraient avec audace chez elle, moqueurs, grimaçants et ricanants, pour très vite s'évanouir dans l'ombre.
Brusquement elle crut sentir un poids sur son corps.
Un homme la caressait, doucement, habilement. Il lui murmurait à l'oreille des mots qu'elle ne comprenait pas. Elle tentait de se dégager pour apercevoir son visage, mais elle était aussitôt reprise par le plaisir que lui donnaient ces mains sur elle, en elle.
Dans cette chaleur moite et douceâtre, elle perdait la notion du temps. Il lui semblait que cela durait depuis toujours. La sueur dégoulinait sur ses joues, sur son cou, sur son ventre.
Enfin elle distingua les traits de l'homme : un front bas, un visage plein, des cheveux noirs et très bouclés, des yeux verts, une bouche minuscule, vermeille, en forme de cœur, un nez busqué. Malgré ses efforts, elle n'arrivait pasà le reconnaître. La peur la prit, elle s'éveilla, tremblant de tout son corps.
À ses cris, Perrette accourut, la changea elle-même de chemise, la massa, la parfuma d'eau de fleur d'oranger.
Soudain, Anne-Louise comprit. Était-elle sotte ? Le garçon de son rêve, c'était Le Jeune Homme au lézard qui ornait un mur de sa chambre, un tableau du Caravage offert par son père.
Sur le portrait, le jeune homme ne caressait personne. Et pour cause. Un lézard lui mordait le majeur de la main droite. Mais, comme dans le rêve, l'expression de son visage trahissait la tension, l'application
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