Marc-Aurèle
de cette passion afin que cessât son supplice. C’est pourquoi elle demandait à son époux de la tuer : « Perce mon sein, Marc Aurèle, je ne t’ai pas trahi, mais mon esprit est possédé et je veux être délivrée… »
Marcia s’est reculée.
— Il aurait dû demander à un centurion de l’étrangler et de jeter son corps aux fauves. Mais elle savait qu’il n’oserait jamais la punir.
Elle a ricané.
— Il a consulté les astrologues, des Chaldéens. Ils avaient depuis longtemps jugé que l’empereur ne voulait pas ou n’était pas capable de punir, de frapper ses proches, comme tant d’autres de ses prédécesseurs l’avaient fait pour le bien de Rome. Ils lui ont conseillé de faire tuer le gladiateur, après quoi Faustine tremperait son sexe dans le sang de cet homme, et, ainsi mouillée, coucherait avec Marc Aurèle.
Marcia avait eu une grimace de dégoût.
— Il a accepté cela. Faustine a prétendu que sa passion s’était aussitôt évanouie.
Elle a reculé, s’est à nouveau allongée.
— Et si elle avait imaginé, avec la complicité des astrologues, de dissimuler ainsi qu’elle avait partagé sa couche, son corps avec ce gladiateur, qu’elle était grosse de son sperme ? Et s’il lui avait fallu imaginer ce stratagème pour que Marc Aurèle crût que cet enfant était né de son sang ?
Marcia a caressé ses cuisses de ses doigts écartés.
— Faustine se moquait des sages, des philosophes, des hommes sans sueur ; elle aimait ceux qui sentent la bête. Elle était plus dévergondée qu’une putain.
Elle a glissé ses doigts sous les voiles et il m’a semblé qu’elle se caressait le sexe.
— Crois-tu que Faustine était femme à renoncer à l’un de ces hommes ?, a-t-elle dit. Elle voulait seulement cacher qu’elle portait un fils adultérin, dont le père était ce gladiateur qu’elle a réussi à faire égorger par Marc Aurèle. Tu en doutes, Priscus ? Regarde Commode.
Elle s’est redressée.
— Je le vois de près. Je le renifle. Qui peut imaginer qu’il est du sang de Marc Aurèle ? L’as-tu vu dans l’amphithéâtre ? Sais-tu qu’il a tué de sa main plusieurs centaines d’animaux sauvages de races variées ? Même des éléphants ! Mais Rome manque de blé, Rome crève de faim parce qu’il se moque bien qu’on pille les approvisionnements, qu’on spécule sur le prix du grain. Il écrit pour toute réponse aux libelles qu’il reçoit : « Porte-toi bien ! » Il se moque de Rome. C’est le sexe d’Onos qui le préoccupe. Et mon corps.
J’ai murmuré :
— Pourquoi les dieux ont-ils voulu cela ? Marc Aurèle a respecté tous les rites, élevé des autels, construit des temples, accompli les sacrifices qu’ils exigent. Pourquoi les dieux l’ont-il ainsi trahi, laissant souiller son œuvre et son souvenir par son propre fils ?
Marcia a croisé les bras, fermé les yeux, puis laissé retomber son menton sur sa poitrine. Il m’a semblé qu’elle chuchotait, comme si elle récitait une prière.
— Il n’y a qu’un seul dieu, Priscus, m’a-t-elle lancé en redressant la tête.
J’ai été surpris par l’expression de son visage. Elle semblait apaisée, comme étrangère à ces lieux qu’elle paraissait découvrir autour d’elle.
— Dieu est unique, a-t-elle repris. Et ce Dieu-là, le seul, Celui qui a ressuscité, Marc Aurèle L’a persécuté en ordonnant le supplice et la mort pour ceux qui croyaient en Lui.
Elle s’est penchée vers moi, dénouant ses bras, me tendant les mains, ouvrant ses paumes comme pour m’offrir un présent.
— Dieu n’oublie pas leurs souffrances et le sang versé, a-t-elle dit.
De nouveau, elle a baissé la tête.
— Priscus, te souviens-tu des martyrs de Lugdunum ?
3
Je ne comprenais pas le sens du mot martyr .
Je répétais à voix basse ces deux syllabes en suivant Hyacinthe qui, par le dédale des couloirs, me raccompagnait jusqu’à la porte du Palais impérial.
Il m’a entendu. M’a saisi le bras. Ses doigts potelés et moites s’enfonçaient dans ma chair, collaient à ma peau. Je frissonnai de dégoût, cherchant à me dégager de la poigne de ce chien d’eunuque dont Marcia m’avait dit en me congédiant : « Il est mon frère. » Mais il s’accrochait à moi, me serrait l’épaule avec une force et une détermination inattendues.
— Tu dis martyr , Priscus ? Nous sommes tous prêts à le devenir, parce que nous voulons être
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