Marc-Aurèle
cour intérieure.
Je m’asseyais là où Eclectos avait jadis pris place.
J’appuyais mon dos à la colonne de porphyre où il avait appuyé le sien.
Je ne pensais plus à l’Empire chrétien qui surgirait sans doute un jour et gouvernerait le genre humain.
J’étais préoccupé de moi, de ce reste de vie qui s’effilochait.
Je guettais les cris, les rires, les pleurs de Marcus.
Le moindre éclat de sa voix me brûlait le corps.
Je quittais la cour, des esclaves s’empressaient, disposaient les lampes dans la bibliothèque.
Je posais mes mains à plat sur les manuscrits, ces Pensées de Marc Aurèle qui avaient imprégné ma vie et qui m’appartenaient comme la sueur est à un corps.
Il disait, je disais :
« Quel mince fragment du temps infini et insondable est la part de chaque être ! Très vite il disparaît dans l’éternité. Quel mince fragment de la substance totale ! Et de l’âme universelle ! Sur quelle petite motte du globe terrestre marches-tu ? Songe à tout cela, et pense que rien n’est grand comme d’agir comme le veut la nature et de subir ce que produit la nature universelle. »
J’écoutais les bruits de la maison.
J’entendais la voix de Doma appelant les esclaves afin qu’elles se rassemblassent autour de Marcus pour le baigner, le nourrir, le bercer, l’endormir.
Et mon cœur se serrait.
« Que demandes-tu ? À vivre encore ? Mais est-ce pour sentir ? Pour vouloir ? Pour grandir ? Pour s’arrêter encore ? Pour user de la parole ? Pour réfléchir ? Qu’est-ce qui, dans tout cela, te paraît mériter d’être désiré ? Si chacune de ces choses est méprisable, va donc au but final : obéis à la raison et à Dieu. Mais il est contradictoire d’attacher du prix à cette obéissance et d’être accablé par l’idée que la mort nous en privera. »
J’étais seul.
La demeure s’enfonçait dans le silence de la nuit.
Puis Doma venait s’allonger près de moi, donnant sa chaleur à mon corps froid.
Je m’apaisais.
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