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Marc-Aurèle

Marc-Aurèle

Titel: Marc-Aurèle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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d’un coup de lance une corne de gazelle. Pour finir, il rentrait au Palais impérial, retrouvait ses concubines et ses gitons, se faisait servir sur un large plat d’argent deux bossus nappés de moutarde qu’il décidait tout à coup de couvrir d’honneurs et de richesses, les faisant s’allonger près de lui, demandant qu’on apportât les autres plats, qu’il goûtait alors qu’il savait avoir fait mélanger des excréments humains aux mets les plus coûteux. Et il intimait à chacun des convives de se gaver de cette nourriture sous peine d’avoir un bras coupé, une jambe estropiée, un œil arraché. On l’avait déjà vu faire plusieurs fois et il riait en apercevant ceux qu’il appelait « le Pied unique » ou « l’Éborgné », récentes victimes de ses sévices.
    Puis il retrouvait Marcia.
     
    Que subissait-elle ? Comment pouvait-elle accepter que ce monstre la touchât, elle qui avait connu Marc Aurèle, elle qui, comme son chien d’eunuque, ce Hyacinthe, était disciple de Christos, Dieu d’humilité, Dieu crucifié ?
    Elle me demandait de la rejoindre à Rome.
    Il m’a alors semblé que mes pensées et mes questions, ces fils que je n’arrivais pas à tisser ensemble, se nouaient enfin.
    J’ai donc quitté ma demeure de Capoue. En chevauchant sur la via Appia, j’ai imaginé les six mille croix dressées sur lesquelles Crassus, selon le récit de mon aïeul Gaius Fuscus Salinator, avait fait clouer les esclaves qui avaient suivi Spartacus et qui n’avaient été épargnés sur le champ de bataille que pour mourir sur la croix.
    C’était longtemps avant que Christos eût été, à Jérusalem, supplicié comme l’un de ces esclaves.
    Du fond de ma mémoire, de cette faille ouverte par le mot résurrection , montait le souvenir d’autres corps martyrs que j’avais vus puis oubliés jusqu’à ce jour.
    Ils marchaient à mes côtés lorsque je suis rentré, dans Rome par la porte Capène, puis lorsque j’ai pénétré pour la première fois depuis trois ans dans le Palais impérial où l’empereur vivait comme un gladiateur dans un lupanar et un pourceau grognant dans sa souille.

 
     
2
    Je suis resté dans la pénombre, à l’écart du grouillement des corps entrelacés au centre de la salle du palais que Commode avait transformée en taverne.
    L’odeur de sueur et de stupre, les effluves de parfum douceâtres me donnaient la nausée.
    J’ai vu l’empereur s’avancer parmi les corps qui s’accouplaient. Il était vêtu en femme et couvert d’une peau de lion. Tout à coup, il a brandi une massue qu’il avait dissimulée. Elle avait la forme d’une tête de chien. Il levait haut les bras, la tenant à deux mains, et il a commencé à frapper prostituées et gitons.
    Il brisait les nuques, les épaules, les membres, les reins. Le sang jaillissait. Les cris aigus et les gémissements semblaient l’exciter. Il riait, frappait plus vite, plus fort, marchant à grands pas. On eût dit un boucher abattant des moutons qui tentaient de fuir, se heurtant aux prétoriens qui les rabattaient vers le tueur, l’empereur Commode, fils de Marc Aurèle.
    J’ai reculé, craignant qu’il ne me vît, ne me reconnût. Mais il était tout absorbé par sa besogne. Les prétoriens poussaient à présent vers lui des estropiés, des paralytiques, leurs jambes mortes enveloppées de guenilles et de bandes de tissu. Ils portaient des masques de dragons, étaient déguisés en géants et se traînaient sur le sol, cherchant à s’éloigner de Commode qui, tel Hercule, tendait maintenant un arc, les visait, les tuait à coups de flèches, leurs cadavres tombant sur les corps nus des blessés, certains encore enlacés.
     
    J’ai reculé à nouveau. Une main a frôlé la mienne. Une voix a chuchoté qu’on allait me conduire jusqu’à Marcia.
    J’ai reconnu malgré la pénombre la silhouette ronde de Hyacinthe qui, d’un signe, m’invitait à le suivre.
    Nous nous sommes enfoncés dans le palais dont je ne reconnaissais pas les salles, les couloirs, les cours. Le bâtiment semblait avoir été pillé, saccagé, laissé à l’abandon comme une tombe profanée. À chaque pas je m’indignais, je souffrais davantage, cherchant à reconnaître un lieu, à retrouver une statue, un autel.
    Hyacinthe me pressait, avançait en rasant les murs, veillant à rester dans l’obscurité, s’arrêtant dès qu’il entendait des pas ou des voix, murmurant que la Bête, le Mal, l’Antéchrist

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