Marcel Tessier racontre notre histoire
canadienne». Si on ajoute à ce projet l’affaire Riel, le chef des Métis pendu à Regina en 1885, après un procès qui marquera d’amertume et de colère l’histoire canadienne, on ouvre toute grande la porte à la guerre journalistique.
Retenons deux énoncés de journaux du temps pour mesurer la friction. Le Toronto Mail écrit: «Si la chute du Cabinet (fédéral) devait résulter du retrait de ses partisans français […] en ce cas, nous, sujets britanniques, sommes convaincus qu’il nous faudrait nous battre de nouveau pour la Conquête […] cette fois, le conquérant ne capitulera pas. Il n’y aura plus de Traité de Paris». À ces propos, La Presse, de Montréal, répond: «Riel n’expie pas seulement le crime d’avoir réclamé les droits de ses compatriotes; il expie surtout le crime d’appartenir à notre race. L’exécution de Riel brise tous les liens de parti qui avaient pu se former dans le passé. Désormais, il n’y a plus ni conservateurs ni libéraux […]. Il n’y a que des Patriotes et des Traîtres. Le Parti national et celui de la corde».
MERCIER RALLIE LES CANADIENS FRANÇAIS
C’est à ce moment qu’arrive Honoré Mercier. En 1886, apeuré par les dangers de la Confédération, il quitte le Parti conservateur. Puis, en 1887, après l’affaire Riel, il réussit à rallier conservateurs, libéraux et ultramontains pour fonder un nouveau Parti national. Il prend le pouvoir. C’est un temps fort pour le Québec. Rapidement, des francophobes, aidés du gouvernement fédéral, entreprennent d’attaquer Mercier et son parti; on tente de faire invalider la loi à la suite du règlement des biens des Jésuites. On assiste aussi à la mise sur pied de la Equal Right Association ayant pour chef Alton McCarthy et dont le but est de «défendre les droits des anglo-protestants du Québec». Plus tard, on apprendra que cette ligue poursuivait aussi un autre but: freiner la pénétration française dans les Cantons-de-l’Est et dans le nord et l’est de l’Ontario. Bref, ça va mal. La morosité du climat entre le Québec et le Canada anglais s’amplifie.
Comme le rapporte le chanoine Groulx: «Un historien anglo-canadien a pu parler du duel Mercier-McCarthy. En 1890, lorsque McCarthy propose au Parlement fédéral la suppression des droits officiels de la langue française dans le Nord-Ouest, l’un des partisans de son groupe le déclare sans ambages: la proposition est une riposte à Mercier et à son parti en train d’établir une république française sur le Saint-Laurent…»
Pour tout le monde, francophones catholiques ou anglophones protestants, le «Cessons nos luttes fratricides» d’Honoré Mercier se traduisait par un cri de ralliement lancé aux troupes canadiennes-françaises: «Unissons-nous contre les Anglais.»
Des centaines d’années plus tard, on assiste historiquement à un semblable scénario.
59 LE «ROI DU NORD»
J e vais souvent à Saint-Jérôme. J’aime alors m’arrêter devant l’église pour saluer, de l’autre côté de la rue, un grand personnage. C’est le «roi du Nord», «l’apôtre de la colonisation», le curé Labelle. Bien campé sur son socle en plein milieu du parc, il semble veiller encore et toujours sur son royaume. Grâce au roman de Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché, puis au téléroman qu’il a inspiré, Les belles histoires des pays d’en haut, ce héros authentique a habité ma jeunesse et l’imaginaire de toute une génération de Québécois. Un héros? Oui. Car sa tâche était héroïque: stopper l’émigration d’un peuple. Et pour cela lui ouvrir un territoire nouveau où il pourrait survivre et conserver sa culture, sa langue et sa religion.
Antoine Labelle naît à Sainte-Rose, le 24 novembre 1833. Son père est cordonnier. Sa mère, la future «madame curé», deviendra populaire grâce à son célèbre fils qui lui confiera la gestion de son presbytère de Saint-Jérôme. Antoine fait ses études au Collège de Sainte-Thérèse de 1844 à 1852, puis au Grand Séminaire de Montréal. Il est ordonné prêtre le 1 er juin 1856. Jusqu’en 1859, il sert comme vicaire au Sault-au-Récollet et à Saint-Jacques-le-Mineur. En 1860, il est nommé curé à Saint-Antoine-Abbé, dans Huntingdon, et en 1863 à Saint-Bernard-de-Lacolle. Partout où il passe, il ne peut que constater la pauvreté des paroissiens. Pire: la détresse de milliers d’entre eux, obligés d’émigrer vers les États-Unis.
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