Marco Polo
fuyez,
vous, les démons ! » Un autre, plus court, disait simplement : « Lha
gyelo », « Les dieux sont victorieux ! » Mais le chant
qu’on entendait partout au To-Bhot, le chant universel et sempiternellement
répété, résonnait ainsi : « Om mani padme hum. » Les
syllabes d’introduction et de conclusion étaient articulées en voix de gorge,
de façon sourde et caverneuse : « O-o-o-om » et « hu-u-u-um »,
et ne constituaient que deux variantes de notre Amen latin. Les deux
autres mots désignaient, au sens le plus littéral : « le joyau dans
le lotus », avec la signification du vocabulaire sexuel des Han. En
d’autres termes, ces saints hommes psalmodiaient en substance : « Amen, le pénis dans le vagin ! Amen ! »
Il est indéniable que le taoïsme, l’une des religions
han qui prévalaient à Kithai, dont le nom signifie la Voie, est en connexion
parfaitement assumée avec le sexe. Dans la théologie taoïste, ce qui est
d’essence mâle est yang, l’essence femelle est yin. Cette dualité
caractérise tout ce qui existe dans l’univers, dans tous les domaines,
matériel, intangible ou spirituel. Ces éléments sont soit distincts et opposés
comme l’homme et la femme, soit complémentaires et nécessaires l’un à l’autre –
cas également de l’homme et de la femme. Ainsi, tout ce qui est actif est yang et ce qui est passif est yin. La chaleur et le froid, les deux et la
terre, le soleil et la lune, la lumière et les ténèbres, le feu et l’eau sont
respectivement yang et yin. Étant étroitement liés, chacun peut
le comprendre, ils sont aussi inextricablement yang-yin. Au niveau du
comportement humain, quand le mâle s’accouple avec la femelle, quand le yang masculin absorbe le yin féminin, loin d’en ressortir empreint d’une
certaine féminité, l’homme est conforté dans sa virilité : c’est alors un
homme complet, plus fort, plus vivant, à la fois plus conscient et plus
digne de sa condition. De même, la femme, en acceptant le yang mâle dans
son yin, ne fait que confirmer sa féminité. À partir de ce principe
fondamental, la Voie prend son envol vers des hauteurs métaphysiques et des
abstractions que je ne prétends nullement appréhender.
Il n’est pas impossible qu’un Han taoïste, flânant il
y a longtemps dans quelque région du To-Bhot à l’époque où ses natifs
révéraient encore le Vieil Homme Paon, ait gentiment tenté de leur expliquer
son estimable religion. Les Bho n’eurent alors sans doute aucun mal à saisir
l’universelle image de l’organe mâle pénétrant celui de la femelle (dans la
terminologie han, « le joyau dans le lotus »), ce qui donna dans leur
langage : le mani dans le padme. Ce sens, qui avait l’avantage
d’être simple et compréhensible, dut être quelque peu obscurci par les nuances
plus subtiles du yang et du yin, si bien qu’ils ne retinrent au final du
Tao que ce chant un peu incongru : « Om mani padme hum. » Cependant,
même les Bho auraient eu du mal à bâtir toute une religion sur une prière qui
n’avait pas de signification plus élevée que : « Amen, fiche
ton pieu en elle ! Amen ! » Aussi, à mesure qu’ils
adoptaient le bouddhisme venu de l’Inde, ils adaptèrent ce chant afin qu’il
colle à leur religion. Il suffisait pour cela d’associer le « joyau »
à Bouddha, ou Pota ; chose aisée, dans la mesure où il était fréquemment
représenté assis en méditation sur une large fleur de lotus. Le chant acquit
alors le sens de : « Amen, Pota est à sa place ! Amen ! » De là, sans doute, d’autres lamas – suivant l’axiome bien connu selon
lequel les sages autoproclamés adorent compliquer, sans qu’on leur ait rien
demandé, les éléments de la foi la plus pure de leurs interprétations et
commentaires intempestifs – décidèrent d’agrémenter ce chant fort simple
d’aspects plus abstrus. Ils décrétèrent que le mot mani (« joyau »,
l’organe génital masculin, ou pota) pourrait signifier les
« moyens » et que padme (« lotus », les parties
génitales féminines, l’endroit où réside le pota) pourrait se référer au
nirvana. Le chant devint du même coup une prière implorant instamment de
trouver les moyens d’accéder à l’oubli du nirvana que les potaïstes considèrent
comme l’achèvement suprême de la vie : « Amen, efface-moi ! Amen ! »
Le potaïsme avait de toute évidence perdu la
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