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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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quand on l’admirait à travers un paysage de ces immenses
pavots bleus et jaunes uniques au To-Bhot, lorsque les saules pleureurs
(appelés ici « cheveux du potala  ») pendaient dans leur
floraison dorée et que le ciel bleu clair était moucheté des taches roses et
noires des bouvreuils et des corbeaux. Toute ville à flanc de falaise
ressemblait à un fatras de maisons qui ne se distinguaient de la roche que par
la fumée qui suintait de leurs étroites fenêtres – curieuses, d’ailleurs, car
plus larges au sommet qu’à la base. Ce fouillis était lui-même dominé par
l’enchevêtrement, encore plus désordonné si possible, du potala, avec
ses tourelles, ses toits dorés, ses promenades et ses cages d’escaliers
extérieures, pavoisées de fanions multicolores qui battaient au vent et
grouillaient de trapas aux robes sombres qui arpentaient posément les
terrasses. Mais, dès que l’on s’approchait, ce qui nous avait paru dans le lointain
plutôt avenant, serein, presque baigné d’une atmosphère de sainteté, se
révélait terriblement laid, torpide et misérable.
    Les pittoresques petites fenêtres de ces demeures ne
s’ouvraient qu’à leurs étages supérieurs, afin de dominer l’épouvantable puanteur
des rues en contrebas. La population locale semblait, de prime abord,
constituée presque exclusivement de chèvres errantes, de volailles et de
mastiffs jaunes, ce qui expliquait, nous sembla-t-il, l’épaisse couche
d’excréments qui couvrait les allées étroites, sinueuses et pentues. Mais dès
que nous commençâmes à rencontrer les habitants, il nous parut regrettable de
ne pouvoir nous contenter des animaux qui, à tout prendre, demeuraient plus
propres : en effet, lorsque ces gens nous saluèrent en tirant la langue,
nous constatâmes que celle-ci était la seule partie de leur corps à n’être pas
incrustée de crasse. Ils étaient vêtus de robes aussi sales que celles de leurs
compatriotes des basses terres, et si certains motifs, sur ce piteux tissu,
permettaient de différencier hommes et femmes, je ne parvins pas à les
distinguer. Il y avait là en réalité bien plus de femmes que d’hommes ; si
je pus m’en rendre compte, ce n’est qu’en constatant que ces derniers prenaient
la peine d’ouvrir leurs robes avant d’uriner dans les rues, les femmes se
contentant de s’accroupir. Elles ne portaient donc rien sous les leurs, du
moins je me pris à l’espérer. Parfois, un amas d’excréments plus massif que les
autres remuait faiblement, et la réalité s’imposait, terrible : il
s’agissait d’un être humain allongé et moribond, le plus souvent une personne
âgée.
    Mes cavaliers d’escorte mongols me confièrent que,
dans les temps anciens, les Bho avaient l’habitude de manger le corps de leurs
vieillards décédés au prétexte que les morts ne pouvaient rêver d’une meilleure
place dans l’au-delà que le gosier de leurs congénères. Ils n’avaient abandonné
cette pratique que lorsque le potaïsme s’était imposé, Pota-Bouddha
n’appréciant guère que l’on consommât de la viande. Seul témoignage de cette
ancienne coutume, les familles conservaient les crânes de leurs morts soit pour
boire dedans comme dans des bols, soit comme petits tambours : les
disparus pouvaient ainsi continuer à partager leurs repas de fête et à
apprécier la musique. Les Bho se contentaient désormais, pour inhumer leurs
morts, de l’une des quatre méthodes suivantes. Parfois, ils brûlaient leur
dépouille au sommet d’une montagne ; ou bien ils les abandonnaient là-haut
aux oiseaux de proie ; ou encore ils les jetaient dans les rivières ou les
étangs d’où ils tiraient leur eau potable, à moins qu’ils ne découpent leurs
cadavres pour les distribuer aux chiens. Cette dernière méthode était la plus
usitée, car elle hâtait la disparition des chairs. Or, durant tout le temps qu’il
leur fallait pour disparaître, l’âme du défunt errait, abandonnée dans une
sorte de purgatoire situé entre leur mort, ici, et leur future renaissance
ailleurs. Les corps des plus pauvres étaient simplement jetés en pâture aux
cabots des rues, tandis que ceux des plus riches étaient acheminés vers des
lamaseries où l’on gardait dans des niches des mastiffs consacrés.
    Ces pratiques expliquaient le nombre incroyable de
vautours nécrophages, de corbeaux, de pies voleuses et de chiens qui voletaient
et grouillaient un peu partout, mais elles

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