Marco Polo
louable
connexion avec les relations sexuelles entre hommes et femmes du fait qu’au
moins un tiers des jeunes hommes Bho, dès la puberté ou même plus tôt, fuyaient
la perspective d’avoir un jour à connaître une relation avec une congénère
femelle, préférant aller endosser les habits religieux. Pour autant que je
sache, le vœu de chasteté était la seule exigence requise pour entrer au potala et accéder à l’élévation hiérarchique possible à travers la carrière de
moine ou de prêtre. Les chabi, ou novices, ne recevaient ni éducation
laïque, ni l’instruction que l’on dispense au séminaire, et je ne pus
rencontrer que trois ou quatre lamas plus âgés et de rang supérieur capables de
lire et d’écrire la formule « Om mani padme hum ». Sans parler
des cent huit livres du Kandjur, ni des deux cent vingt-cinq livres Tengyur qui constituent les commentaires relatifs au Kandjur. Concernant le
vœu d’abstinence des religieux, toutefois, j’aurais mieux fait de préciser
qu’il s’agissait d’un renoncement à l’égard des femmes. Car bien des lamas et
des trapas n’hésitaient pas à se faire les avances sexuelles les plus
ostentatoires afin d’afficher leur abandon du sexe « normal »,
sordide et ordinaire.
Le potaïsme, quel qu’ait été son développement, était
une religion qui ne requérait au fond qu’une quantité importante de dévotion
absolue, sans qu’intervienne nulle part la notion de qualité. J’entends par là
que le chercheur d’oubli n’avait qu’à répéter la formule « Om mani
padme hum » un nombre suffisant de fois au cours sa vie pour
espérer intégrer le nirvana à la fin. Il n’était même pas nécessaire qu’il
prononçât les mots, qu’il les réitérât par un quelconque effort de volonté.
J’ai mentionné les moulins à prières ; ils étaient partout, dans les
lamaseries ainsi que dans chaque maison. On pouvait même en trouver certains
laissés à la portée du dévot de passage, n’importe où dans la campagne. Ils
ressemblaient à de petits cylindres en forme de tambours dans lesquels des
papiers manuscrits comportant le texte de la prière mani avaient été
enroulés. Il suffisait de lancer le cylindre d’un mouvement de la main pour que
les « répétitions » engendrées par chaque tour soient créditées au
compte du lanceur. Aussi étaient-ils parfois installés sur un cours d’eau ou
sous le flot d’une cascade, à la façon de moulins à eau, afin que l’appareil
restât constamment en mouvement, ce qui rendait la prière continue. Le potaïste
pouvait aussi hisser un drapeau affichant la prière (que l’on pouvait y
inscrire plusieurs fois), et chacun des claquements au vent dudit pavillon
comptait à son propriétaire. On voyait dans le pays, il faut le dire, bien plus
de ces oriflammes religieuses que de fils chargés de linge à sécher. Le croyant
pouvait aussi effleurer de la main une série d’omoplates de mouton suspendues à
la façon d’un carillon, dont chaque os avait été marqué du texte de la prière mani : tant que l’élan du mouvement imprimé continuait à les faire s’entrechoquer,
les prières s’égrenaient à son profit.
Je tombai un jour sur un trapa couché au bord d’un
ruisseau, plongeant et retirant alternativement du flot une petite tuile
accrochée à une corde. Il avait passé toute sa vie d’adulte à faire cela,
m’expliqua-t-il, et entendait bien continuer jusqu’à sa mort.
— Mais continuer à faire quoi, Dieu du
ciel ? lui demandai-je, pensant que, peut-être, dans la droite ligne des
rites Bho, il entendait imiter saint Pierre en tant que pêcheur d’âmes.
Le moine me montra sa tuile ; la prière mani s’y
trouvait gravée comme un sceau. Il m’expliqua qu’ainsi il pouvait
« imprimer » sans fin la prière gravée dans l’eau courante, chacune
de ces « impressions » ne faisant qu’accroître sa piété.
Une autre fois, dans la cour d’un potala, je
vis deux moines en venir assez vivement aux mains au prétexte que l’un d’eux,
ayant lancé un moulin à prières et s’étant éloigné, avait vu un frère stopper
le moulin et le relancer en sens inverse pour engranger ses propres prières.
Dans l’une des villes principales où nous fîmes escale
s’élevait une lamaserie particulièrement vaste, où j’eus la fierté d’être reçu
par le très vénérable grand lama du lieu, aussi crasseux et grassement oint de
pommade
Weitere Kostenlose Bücher