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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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que les autres.
    — Votre Présence, exposai-je au vieux religieux,
où qu’aient porté mes regards, je n’ai jamais observé, dans quelque potala que
ce soit, la moindre activité s’apparentant à une cérémonie religieuse. Hormis
lancer des moulins à prières et agiter des os, en quoi consistent vos
rites ?
    D’une voix qui ressemblait au lointain bruissement des
feuilles, il me répondit :
    — Je reste assis dans ma cellule, Altesse mon
fils, parfois dans une grotte isolée ou sur le sommet d’une montagne, et je
médite.
    — Quel est l’objet de votre méditation, Votre
Présence ?
    — Je me remémore le jour où j’ai pu porter les yeux
sur le Kian-gan Kundun.
    — De quoi s’agit-il ?
    — Sa Souveraine Présence, le saint lama entre
tous, l’actuelle réincarnation du Bouddha. Il réside à Lhassa, la cité des
dieux, loin, très loin d’ici, où il se fait édifier un potala digne
d’accueillir Sa Grandeur. Il y a maintenant au moins six siècles que sa
construction a été entamée, mais quatre ou cinq autres siècles seront sans
doute encore nécessaires pour qu’elle soit terminée. Le Très Saint sera alors
heureux d’honorer de sa Souveraine Présence ce palais, qui sera à n’en pas
douter somptueux.
    — Voulez-vous dire, Votre Présence, que ce
Kian-gan Kundun attend de s’installer depuis plus de six siècles ? Et
qu’il sera encore vivant lors de son achèvement ?
    — Assurément, Altesse mon fils. Bien sûr, étant
vous-même un ch’hipa (un étranger à la foi), vous ne sauriez l’envisager
comme nous. Son véhicule corporel meurt bien de temps à autre, et ses lamas
doivent alors explorer tout le pays à la recherche de l’enfant dans lequel son
âme a choisi de se réincarner. De ce fait, l’apparence physique que peut avoir
Sa Souveraine Présence varie d’une vie à une autre. Mais nous autres nang-pa (éveillés à la foi) savons qu’il est et demeure l’unique et l’éternel, Sa
Sainteté le Lama Suprême, le Pota réincarné.
    Il me sembla plutôt injuste que le Pota, après avoir
pris la peine de créer pour ses dévots le nirvana, ne puisse apparemment jamais
aller y jouir à son tour du repos éternel, forcé de faire le pied de grue à
Lhassa, ville selon toute vraisemblance aussi horrible que toutes celles du
To-Bhot. Je me fis cependant violence pour ne pas émettre à voix haute cette
remarque et invitai gentiment le vieil homme à poursuivre :
    — Ainsi donc, vous avez gagné la lointaine Lhassa
et avez vu le plus saint des lamas ?
    — Oui, Altesse mon fils, et depuis lors, cet
événement a pleinement occupé mes méditations, ma contemplation et toutes mes
dévotions sans exception. Vous n’allez peut-être pas le croire, mais le Plus
Saint a ouvert ses yeux chassieux et les a posés sur moi.
    À l’évocation de ce souvenir, il esquissa un sourire
de ravissement.
    — Je pense que si le Très Saint n’avait pas été
si vieux et si proche de sa prochaine transmigration, il se serait fait
violence pour faire appel à ses dernières forces et m’aurait parlé.
    — Vous n’avez fait qu’échanger un regard ?
Et cela vous a suffi pour alimenter vos méditations depuis lors ?
    — Oui, depuis lors. Ce regard larmoyant du Plus
Saint a provoqué en moi l’émergence de la sagesse. C’était il y a quarante-huit
ans, maintenant.
    — Durant près d’un demi-siècle, Votre Présence,
vous n’avez fait que vous absorber dans le souvenir de cette entrevue ?
    — Un homme ainsi touché par le commencement de la
sagesse se doit de la laisser mûrir sans se laisser distraire. J’ai donc
abandonné tout autre projet, abdiqué tout intérêt dilatoire, et je ne prends
même pas le temps de manger pour interrompre mes méditations.
    Il donna à ses rides et à ses marbrures de peau l’air
transporté d’un martyr extatique.
    — Je ne subsiste que d’un bol de thé léger occasionnel.
    — J’ai déjà entendu parler de ces privations,
Votre Présence. Cependant, je suppose que vous partagez avec vos lamas les
fruits de vos méditations, afin qu’ils en soient instruits ?
    — Par la grâce divine, jamais de la vie, jeune
Altesse !
    Ses traits plissés exprimèrent soudain un étonnement
choqué, et il me lança un regard légèrement offensé :
    — La sagesse ne peut s’enseigner, il faut tenter
de l’apprendre. La recherche qu’en feront les autres leur appartient.
Maintenant, vous voudrez bien m’excuser,

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