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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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davantage dans cette eau qui montait, je me
tournai à droite et, tout en dérapant dans cette boue récente qui m’aspirait
les bottes, je résolus de rejoindre les autres. Lorsque, dans l’obscurité, une
forme humaine se matérialisa sous mes yeux, je lui adressai quelques paroles en
mongol, et ce fut ce qui faillit me perdre.
    Je n’ai jamais eu le loisir de rechercher comment il
avait pu échapper à la catastrophe. Peut-être faisait-il partie de ceux qui
avaient fui en direction de l’une des issues de la vallée ou, plus simplement,
par un hasard inexplicable, avait-il été soulevé par l’avalanche au lieu de
périr écrasé sous elle. Peut-être, l’ignorant lui-même, n’aurait-il pu
expliquer comment il avait survécu. Il semble que, même lors des pires
désastres, il y ait toujours au moins quelques rescapés – peut-être y en
aura-t-il même après Armageddon. Nous devions ici découvrir qu’environ
quatre-vingts personnes, sur cent mille, n’avaient pas péri. La moitié étaient
des Yi, et la moitié de ceux-ci, presque indemnes, tenaient encore debout. De
ce tout petit nombre, deux au moins étaient encore armés et bouillaient d’une
soif de revanche immédiate. J’avais eu la malchance de tomber sur l’un d’eux.
    Il pensait sans doute être le seul survivant Yi
et dut être surpris de rencontrer dans cette poussière une autre silhouette
humaine. En m’adressant à lui en mongol, je lui fournis un avantage. Je ne
savais pas ce qu’il était, mais lui m’identifia aussitôt comme un ennemi, l’un
de ceux qui venaient de pulvériser son armée et, parmi ses compagnons d’armes,
des amis proches sans doute, peut-être des frères. Animé de l’instinct du
frelon en colère, il m’assena un grand coup d’épée. Sans la boue dans laquelle
nous pataugions, j’eusse succombé à l’instant même. Je n’aurais sans doute pas
eu le réflexe d’esquiver cette attaque, mais un tressaillement involontaire me
fit glisser, et, au moment où je chutais dans la boue, je sentis le souffle
meurtrier de la lame balayer l’espace que je venais de quitter.
    Je ne savais toujours pas de qui il s’agissait (et la
fameuse phrase « Je surgirai quand tu t’y attendras le moins » m’était
tout de suite venue à l’esprit), mais c’était bien une agression, il n’y avait
pas à en douter. Je roulai sur moi-même afin de m’éloigner de ses pieds,
agrippai la seule arme dont je disposais, le poignard passé dans ma ceinture,
et tentai de me relever. J’étais encore sur un genou quand il se rua de nouveau
sur moi. Nous étions deux silhouettes indécises dans la poussière, et, sur
cette boue visqueuse, sa démarche était aussi peu sûre que la mienne : son
second coup me manqua. Son élan le mit presque à ma portée, et je lui lançai un
coup de poignard, mais je patinai encore et ne parvins même pas à le toucher.
    Laissez-moi vous dire ici quelques mots de la lutte au
corps à corps. Quelque temps auparavant, à Khanbalik, j’avais vu l’imposante
carte du ministre de la Guerre, avec ses petits drapeaux et ses queues de yack
pour marquer la position de ses armées. En d’autres occasions, j’ai pu observer
des officiers de haut rang mettre au point des plans d’attaque et suivre le
développement des batailles, leurs armées étant matérialisées par des blocs
colorés de taille variable. Les combats paraissent alors propres et nets,
soignés et bien rangés, et il semble possible, pour l’officier qui les
considère de loin ou l’observateur non impliqué, d’en prévoir aisément l’issue.
De retour dans ma Venise natale, j’ai pu examiner nombre de gravures et de
tapisseries représentant les célèbres victoires, tant maritimes que terrestres,
de notre noble cité... Observez ici notre flotte ou notre cavalerie, là celles
de nos ennemis : admirez comment les combattants se font face de façon
franche et ouverte, et voyez-les tirer leurs flèches, assurant le jet de leurs
lances avec précision et détermination, le regard presque serein ! À
contempler ces images, on prendrait vite la bataille pour une opération aussi
méthodique et ordonnée qu’une partie d’échecs jouée sur une table lisse, dans
une pièce confortable et bien éclairée.
    Je doute qu’aucune bataille ait jamais ressemblé à
cela. Une lutte au corps à corps, je peux vous l’affirmer, en est à mille
lieues. C’est au contraire une confrontation confuse et agitée,

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